La transparence et la sécurité nationale : viser juste

Notes pour l’honorable Pierre Blais, président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

Conférence Transparence pour le 21e siècle

Édifice de la Bibliothèque et des Archives nationales, 395, rue Wellington, Ottawa

Le jeudi 23 mars 2017, Panel de 14 h 30 à 15 h 45

Good afternoon. Bon après-midi tout le monde. Il me fait plaisir d’être ici parmi vous aujourd’hui sur ce panel estimé au nom du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le « CSARS ») avec les professeurs Wesley Wark et Lisa Austin, présidé par Me Chantal Bernier, au sujet de la « transparence et la sécurité nationale : viser juste. » Comme l’indique son site Web, la Conférence comporte un thème central, que voici :

« La liberté d’information fournit une solide assise aux saines démocraties et aux gouvernements transparents à travers le monde. La sécurité nationale et économique, les droits de la personne, le droit des peuples autochtones, les libertés des médias et des individus, ainsi que la responsabilité gouvernementale sont renforcés lorsque l’information circule librement entre les gouvernements et leurs citoyens. Dans le monde entier, les gouvernements démocratiques testent des initiatives destinées à renforcer cette ouverture. On s’attend de plus en plus à ce que les gouvernements améliorent leur transparence et suivent le rythme des évolutions technologiques rapides qui rendent les affaires et la communication personnelle si immédiates. Les citoyens exigent des niveaux accrus de mobilisation et de politiques de portes ouvertes, qui illustrent leur accès aisé aux connaissances, à l’intelligence d’affaires (Business intelligence) et aux réseaux sociaux. »

Je constate qu’il s’agit du dernier panel de la journée et même de la conférence. Vous avez gardé le meilleur pour la fin!

J’essaierai donc de vous tenir éveillé en présentant mon allocution sous forme de questions, en quelque sorte, afin de vous pousser à voir plusieurs aspects de l’accès à l’information sous un nouveau jour :

Le premier aspect est celui de la sécurité nationale. Je vous expliquerai comment, selon moi, la transparence et la sécurité nationale ne sont pas diamétralement opposées et qu’il est réellement possible d’atteindre un juste équilibre entre les deux.

Le deuxième aspect sur lequel nous nous pencherons est la vie privée des personnes et, pour le CSARS, des plaignants devant lui, ainsi que la façon dont la notion s’intègre dans l’accès à l’information.

Le troisième et dernier aspect portera sur les préoccupations relatives à la facilité de l’accès à l’information par voie électronique. J’aborderai ce qui peut sembler être une dichotomie entre la façon dont bon nombre d’entre nous agissent au 21e siècle avec nos différents gadgets et la facilité avec laquelle nous recevons et partageons des informations de partout sur la planète, à portée de main et en un clin d’œil.

1) Sécurité nationale

L’organisme que je préside, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou le CSARS, est assujetti à la Loi sur l’accès à l’information, au même titre que les autres organismes fédéraux. Il reçoit son lot de demandes d’informations, tout comme n’importe quel ministère ou organisme, et il y répond attentivement. Toutefois, pour des raisons de sécurité nationale, il existe des limites nécessaires en ce qui a trait à la divulgation d’informations classifiées. Ces limites sont énoncées dans notre loi habilitante, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, dans la Loi sur la protection de l’information ainsi que dans la Loi sur la preuve au Canada.

Cela dit, il est tout de même possible d’atteindre la transparence dans un contexte de sécurité nationale, quoique le terme ne soit pas vraiment un synonyme de l’accès à l’information en soi. En d’autres mots, la transparence ne signifie pas qu’il est possible de tout voir. Plutôt, elle indique que le public a une certaine confiance que les organismes d’examen spécialisés dans un contexte de sécurité nationale, comme celui au CSARS, accomplissent leur mandat d’examiner et de rendre responsables de leurs actes les organismes chargés de mener des enquêtes sur les questions de sécurité nationale, comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Comme il l’a dit dans l’introduction de son dernier Rapport annuel 2015-2016, " Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (« CSARS » ou « Comité ») est un organisme de surveillance indépendant qui rend compte des opérations du Service canadien du renseignement de sécurité (« SCRS » ou « Service ») au Parlement du Canada. […] Le CSARS assure trois fonctions principales : il remet un certificat relatif au rapport annuel que le directeur du SCRS prépare à l’intention du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, il procède à des études approfondies sur les activités du SCRS, et il mène des enquêtes sur les plaintes. […] Le CSARS a pour vocation de fournir au Parlement, et à tous les citoyens du Canada, l’assurance que le Service enquête sur les menaces envers la sécurité nationale, et fait rapport à ce sujet, dans le respect de la primauté du droit et des droits des Canadiennes et Canadiens. "

On pourrait dire que le CSARS est un véhicule de transparence pour le gouvernement du Canada. Effectivement, même si la quantité d’informations diffusées reste inchangée, la présence d’organismes d’examen spécialisés tel le CSARS augmente la transparence. Par exemple, le CSARS permet une transparence en ce qui a trait à l’obligation du SCRS de rendre des comptes aux Canadiens, de mener à bien ses enquêtes et de conseiller le gouvernement du Canada sur des questions et des activités qui représentent, ou pourraient représenter, une menace pour la sécurité nationale.

2) Vie privée

Ce dernier point concorde avec mon suivant pour ce qui est de la vie privée et de la façon dont elle s’insère dans la discussion sur la transparence et l’accès à l’information, particulièrement dans le contexte de la sécurité nationale. Le droit d’accès à l’information n’est pas absolu au Canada et, comme nous le savons, d’importantes exceptions et exemptions prévalent. Encore une fois, cela revêt une importance particulière dans le contexte de la sécurité nationale où la divulgation d’informations classifiées pourrait porter préjudice au public.

Même si la Loi sur l’accès à l’information prévoit un droit d’accès, ce dernier n’est pas absolu. Il doit être examiné en fonction des autres dispositions de la loi et des exemptions qu’elle renferme.

Notons également le paragraphe 35(1) de la Loi sur l’accès à l’information qui stipule que « Les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à l’information sont secrètes. » Bien que la loi accorde une possibilité raisonnable de faire des observations, le paragraphe 35(2) précise que « nul n’ayant toutefois le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire à l’information, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet ».

Il convient aussi de noter que la terminologie employée relativement aux enquêtes dans la Loi sur l’accès à l’information est la même que celle utilisée pour les enquêtes que mène l’organisme que je préside, le CSARS, conformément à la Loi sur le scrs. Le libellé témoigne clairement du caractère privé des procédures judiciaires du CSARS et du droit de faire des observations :

48 (1) Les enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie sont tenues en secret.
(2) Au cours d’une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et l’administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d’être entendu en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat; toutefois, nul n’a le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au comité, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.

Selon la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Al Telbani au paragraphe 62 (2012 CF 474), « Le CSARS est un organisme législatif particulier qui a des attributs spéciaux reliés à la sécurité nationale. Les procédures du CSARS établissent un équilibre entre la sécurité nationale et les droits des individus. Le CSARS a des pouvoirs qui s’apparentent à une Cour supérieure d’archives […]. »

Le caractère privé et la confidentialité des procédures judiciaires du CSARS sont la pierre angulaire de ses enquêtes. Le plaignant profite d’un accès, par l’entremise d’un avocat et des occasions de présenter des observations et des éléments de preuve au comité, et ce, en secret et dans le respect des principes de justice fondamentale. Par conséquent, le CSARS ne diffuse pas de documents rédigés ou obtenus dans le cadre de ses enquêtes (plaintes) conformément à l’alinéa 16(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information.

3) La facilité de l’accès à l’information par voie électronique entraîne-t-elle une dichotomie?

Le dernier volet que nous verrons aujourd’hui porte sur la présumée dichotomie que présente la facilité de l’accès à l’information par voie électronique au 21e siècle.

D’une part, l’humain veut profondément connaître toutes les informations possibles et y avoir accès. On pourrait dire qu’il s’agit simplement de sa nature : il n’aime pas les secrets! Il veut tout savoir! Lorsqu’il cherche à obtenir des informations sur X, Y ou Z, il demande à voir les documents sur absolument tout. D’ailleurs, ce sont des personnes comme certaines d’entre vous, en fait, des sections complètes, qui répondent à ces demandes d’informations assidûment et professionnellement.

D’autre part, lorsque ce sont ses informations personnelles qui sont diffusées, révélées ou partagées, son premier réflexe est toutefois de s’y opposer. Quand un ministère du gouvernement fédéral reçoit une demande d’informations, il doit examiner attentivement les documents afin de s’assurer qu’aucune information personnelle n’est divulguée au public.

De plus, il ne veut habituellement pas que le gouvernement se mêle de sa vie privée, comme, dans le domaine de la sécurité nationale, lorsque des gens ne veulent pas que le gouvernement fédéral fouille dans leur vie privée même s’ils connaissent peut-être une personne qui représente une menace pour la sécurité nationale.

Toujours dans un contexte de sécurité nationale, il craint que le gouvernement recueille des métadonnées, comme l’a mentionné le CSARS dans son Rapport annuel 2014‑2015 de l’année dernière. Comme vous le savez, l’utilisation de métadonnées par les services de renseignement a été examinée à la loupe. Le juge Simon Noël de la Cour fédérale a récemment rendu une décision sur le sujet à l’automne 2016. Dans le contexte des communications, le terme métadonnée renvoie aux informations sur les activités de communications qui ne comprennent pas le contenu de la communication proprement dit. En principe, presque chaque élément de données transmis comprend une métadonnée associée.

Pourtant, il tolère les nombreuses intrusions des entreprises privées dans sa vie privée. « Comment? », vous me demandez. Souvent par l’entremise de ses propres appareils électroniques, à son insu ou non ou parfois même sans son consentement. Il n’hésite pas à fournir chaque petit détail de sa vie privée, de celles de ses amis et de sa famille sur Internet et sur le Web par l’entremise de comptes sur Google, Facebook, Twitter et Instagram. Il effectue des achats en ligne et puis continue de recevoir des suggestions en vue d’achats ultérieurs de ces mêmes commerçants et d’autres qui sont personnalisées selon ses tendances et préférences en matière de dépense. Lorsqu’il voyage avec ses appareils munis d’un GPS actif, il est repérable, y compris par les magasins ou les restaurants dans lesquels il s’apprête à entrer et qui l’attirent au moyen de publicités et de ventes pour le solliciter davantage. Évidemment, dans cette situation, il comprend qu’il adhère à quelque chose et qu’il recevra autre chose en retour, mais c’est néanmoins un phénomène étrange.

Enfin, j’ajouterais qu’en ce qui a trait à la sécurité nationale, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles; il existe déjà un juste équilibre en matière de transparence grâce aux organismes d’examen spécialisés comme le CSARS, qui possède plus de trente ans d’expérience dans le domaine. Il est indispensable que les organismes qui mènent les activités de renseignement de sécurité rendent des comptes adéquatement, et notre modèle d’examen spécialisé indépendant joue un rôle important. Qui plus est, le CSARS a déclaré publiquement qu’il a hâte de collaborer avec le nouveau Comité des parlementaires pour assurer la transparence au sein du cadre de sécurité nationale du Canada et le respect de l’obligation de rendre des comptes.

Merci!

Date de modification :