Discours de Michael Doucet

Université Ryerson, Toronto – 17 septembre 2014

Présentation de Michael Doucet, Directeur exécutif, CSARS

Le renseignement par opposition à la vie privé : une fausse dichotomie?

Bon après-midi (Bon matin) et merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis Michael Doucet et je suis le directeur exécutif du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.

Survol

Dans cette présentation je soulève deux importantes questions. 1. Comment notre gouvernement peut-il à la fois jeter les bases d’une bonne sécurité nationale et protéger la vie privée de ses citoyens; et 2. Sommes-nous obligés de choisir entre vie privée et liberté?

Dans une société démocratique, il est essentiel de bâtir et de maintenir la confiance envers les institutions publiques. C’est une tâche qui devient particulièrement importante, mais également difficile, lorsqu’une institution ne peut se soumettre à l’examen du public en raison de la nature secrète de ses activités. C’est le cas du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qui a la responsabilité d’amasser des renseignements sur les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale du Canada.

Pendant que je suis avec vous, j’aimerais vous présenter brièvement mon organisation, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou CSARS – notre histoire et notre mandat, nos fonctions et nos responsabilités. Ensuite je voudrais discuter avec vous de vie privée et de sécurité dans le contexte de la technologie et du partage de l’information. J’espère que cette information vous donnera une meilleure perspective sur le rôle du CSARS, la valeur que nous ajoutons au SCRS et à la collectivité du renseignement, et les assurances que nous donnons au Parlement et au public canadien.

Histoire

En déterminant les principes fondamentaux sur lesquels s’appuie le SCRS, les responsables de la Commission royale qui a créé le service ont déclaré ce qui suit : « Dans une société libérale qui, par principe, veut limiter l’intrusion des services secrets de l’État dans la vie privée des citoyens et dans les affaires des organisations politiques et des institutions privées, les techniques d’enquête qui font irruption dans le domaine de la vie privée ne doivent être utilisées que lorsqu’elles sont justifiées de par la gravité et de l’imminence d’une menace à la sécurité nationale ». La tâche d’assurer un juste équilibre a été confiée au Comité d’examen du renseignement de sécurité, ou CSARS.

Depuis trente ans, le CSARS est un maillon clé d’un système de vérifications et de contrepoids qui assure la reddition de comptes du SCRS au Parlement et au peuple canadien.

Mandat

Le Comité a pour mandat d’aider à assurer que le Service respecte les droits fondamentaux et les libertés des Canadiens dans son travail d’enquête sur les menaces à la sécurité nationale, au Canada et à l’étranger. Ce faisant, le Comité s’assure que le SCRS ne viole pas les droits et les libertés fondamentaux des Canadiens alors qu’il remplit son mandat de protection contre les menaces à la sécurité nationale.

Je voudrais souligner les trois grands principes du CSARS qui, je le crois, sont au coeur de notre travail.

Indépendance - Le CSARS est indépendant, ce qui signifie que c’est un organisme externe au pouvoir exécutif du gouvernement. Le Comité ne relève pas d’un ministre; il rend directement compte au Parlement. Même si les membres du Comité viennent d’horizons politiques et régionaux divers, ils occupent des postes de confiance au CSARS où les prédispositions partisanes ne sont pas les bienvenues.

Un effectif hautement compétent et professionnel – l’effectif du CSARS est petit, mais dévoué, avec une diversité de formation et d’expérience. Les copies de nos rapports classifiés sont envoyées au SCRS et au Ministre de la Sécurité publique et, historiquement, environ 70 % de nos recommandations sont acceptées par le SCRS, même si elles ne sont pas contraignantes.

Un membre productif et informé de la collectivité de la sécurité nationale – lorsque cela est possible, les employés du CSARS établissent des liens avec les universités, le milieu juridique, le monde du renseignement, les vérificateurs et les services policiers. Ils se tiennent ainsi au courant des tendances du métier. Le CSARS continue également de jouer un rôle important auprès de la collectivité canadienne du renseignement en participant au dialogue sur la sécurité nationale, le contrôle et l’évaluation, tant au niveau classifié que non classifié.

Accès

Le CSARS a le pouvoir quasi illimité d’examiner le travail du SCRS, à la seule exception des Documents confidentiels du Cabinet, c’est-à-dire les délibérations entre ministres. Il a le pouvoir absolu d’examiner toute l’information en possession du SCRS, quelle que soit sa cote de sécurité.

Le CSARS fait régulièrement des examens des bureaux régionaux et internationaux du SCRS. Il peut s’agir d’examiner les tâches de surveillance, les autorisations de ciblage, les entrevues menées dans la collectivité et toutes autres activités. Les examens régionaux et internationaux donnent au CSARS la possibilité d’examiner comment les directives ministérielles et les politiques du SCRS influencent directement le travail des enquêteurs sur le terrain.

Fonctions et responsabilités

Le CSARS est un organisme professionnel qui exerce ses fonctions avec objectivité et compétence. Le Comité a trois fonctions principales : il effectue des études, remet un certificat au rapport annuel du directeur du SCRS présenté au ministre de la Sécurité publique (il s’agit là d’une nouvelle responsabilité que nous endossons) et enquête sur les plaintes. Permettez-moi de vous dresser un bref portrait de chacune de ces fonctions, et ensuite je vous donnerai un exemple concret du travail d’examen que nous faisons.

Rapport annuel à venir

Le rapport annuel du CSARS de l’exercice 2013–2014 sera publié dans quelques semaines. Je vous conseille d’y jeter un coup d’oeil, car il contient plusieurs examens très importants.

Examens

Chaque année, les études du CSARS visent à évaluer un large éventail des activités du SCRS. Il faut bien comprendre que le Comité a le pouvoir d’examiner toutes les activités et opérations du Service. Cela veut dire que nous examinons pourquoi et comment le SCRS cible des individus, la façon dont il utilise et gère les sources humaines, la manière dont il exécute les pouvoirs très intrusifs octroyés au moyen de mandats autorisés par la Cour fédérale, ses échanges d’informations avec les partenaires canadiens et étrangers, et ses opérations au Canada et à l’étranger. Compte tenu de la taille de notre effectif, nous devons être stratégiques dans nos choix, et ce afin de couvrir, en temps utile, un éventail représentatif des activités, des opérations et des programmes du SCRS.

Certificat

Dans notre deuxième fonction, la remise du certificat, nous évaluons le rapport annuel du directeur du SCRS présenté au ministre de la Sécurité publique. Le rapport du directeur fournit au ministre des renseignements pour l’aider dans l’exercice de la responsabilité ministérielle à l’égard du SCRS. Le Comité examine ce rapport et donne des garanties quant à la légalité, la nécessité et quant au caractère raisonnable des activités opérationnelles du Service.

Plaintes

Enfin, nous enquêtons sur les plaintes. En vertu de l’article 41 de la Loi sur le SCRS, le Comité enquête sur les plaintes qui concernent « des activités du Service ». En vertu de l’article 42, il enquête sur celles qui ont trait au refus d’habilitations de sécurité à des fonctionnaires ou à des fournisseurs du gouvernement fédéral. Beaucoup moins souvent, le CSARS fait enquête sur des renvois de la Commission canadienne des droits de la personne ou sur des rapports du ministre concernant la Loi sur la citoyenneté.

Collectivité de l’examen au Canada

Au Canada, nous avons trois organismes d’examen qui chapeautent les grandes organisations de sécurité – le CSARS, qui examine le SCRS, le Bureau du commissaire du centre de la sécurité des télécommunications (BCCST) qui examine le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada, et la Commission des plaintes du public qui examine la GRC. Ces trois agences examinent également les plaintes déposées contre ces organisations.

Vie privée contre sécurité

Je tiens à souligner que, dans cette ère de l’information, le Comité est parfaitement conscient de la nécessité que le Service respecte les limites imposées par le cadre juridique de la collecte et du partage d’informations. Le CSARS est aussi confronté à une législation qui, surtout sur le plan du partage de l’information, n’est pas aussi à jour qu’elle pourrait l’être. J’aimerais vous donner un exemple pour illustrer ce point.

Je vais prendre un exemple vieux de quelques années pour illustrer ce que je viens de dire à propos de l’équilibre fragile à atteindre.

Dans cet examen en particulier, le CSARS a choisi de se pencher sur l’utilisation opérationnelle de l’Internet par le SCRS. Nous avons voulu connaître la méthode d’enquête du SCRS sur Internet, tant sur le plan des politiques que des procédures, afin de déterminer si ces politiques et ces procédures étaient bien fondées et suffisamment souples pour s’adapter à la nature changeante d’Internet.

Technologie et partage de l’information

La contribution de plus en plus importante d’Internet à la radicalisation de personnes qui peuvent devenir des menaces pour les intérêts canadiens, tant au Canada qu’à l’étranger, est une préoccupation croissante pour la sécurité nationale. Internet joue un rôle important à toutes les étapes de cette radicalisation. Il ouvre un accès direct et sans filtre aux idéologies extrémistes, tout en offrant un lieu de rencontre anonyme et virtuel aux individus qui partagent les mêmes vues. Il offre également la possibilité de créer des liens et d’acquérir des connaissances spécialisées et des compétences qui, autrefois, ne pouvaient se transmettre que sur des camps d’entraînement outre-mer. Les terroristes potentiels ont ainsi un accès facile aux informations qui les aident à planifier et exécuter des attaques terroristes.

Cet examen s’est penché sur les stratégies, les politiques et les procédures qui guident l’utilisation opérationnelle d’Internet par le SCRS. Il a examiné de nombreuses questions, par exemple :

Pour répondre à ces questions, le CSARS a examiné le rôle et la contribution d’une unité spécialisée. Le CSARS a également examiné les activités du Service pour comprendre comment il utilise Internet pour améliorer ses méthodes d’enquête traditionnelles. Il a examiné un éventail d’information et de documents ministériels et opérationnels et a tenu des réunions.

Dans le cadre de ses recherches, le CSARS a identifié deux éléments à considérer lorsque le SCRS utilise Internet à des fins opérationnelles.

La première considération est liée à la jeunesse. Presque tous les jeunes vont sur Internet. De plus, ils sont souvent ciblés par la propagande extrémiste. Par conséquent, la probabilité que le SCRS entre en possession d’information qui concerne des mineurs dans le cadre de ses enquêtes a augmenté. Alors qu’Internet continuera de servir à la radicalisation des jeunes, les interactions du SCRS avec les jeunes Canadiens augmenteront sans doute. En effet, un grand nombre des outils de recrutement ou de radicalisation sur Internet s’adressent directement à eux. Mais dans son examen, le CSARS a mis à jour plusieurs cas où le SCRS a recueilli et divulgué de l’information sur des mineurs. Le volume d’information sur des jeunes qui est saisie, et donc conservée de façon permanente, dans les rapports opérationnels est à la hausse.

Une directive ministérielle et une directive interne du SCRS ont déjà souligné qu’il fallait accorder une considération spéciale à l’information qui concerne des jeunes. Par conséquent, le CSARS a recommandé que le SCRS insiste auprès de ses employés pour qu’ils exercent une plus grande prudence en recueillant et en conservant de l’information concernant des jeunes.

Utilisation d’Internet par le SCRS – Utilisation d’information de source ouverte

La deuxième considération porte sur les sources d’information ouverte. Le SCRS obtient son mandat et ses pouvoirs de la Loi sur le SCRS, qui fixe des limites claires sur le type d’activités sur lesquelles on fait enquête, les méthodes de collecte d’information, et les personnes qui peuvent consulter cette information. Par exemple, en vertu de l’article 12, le SCRS ne devrait recueillir que « lorsque cela est strictement nécessaire », des renseignements sur des activités que l’on soupçonne « sur des bases raisonnables » de constituer des menaces pour la sécurité du Canada. Ces limites ont été réitérées et précisées dans une directive ministérielle adressée au SCRS.

Même si beaucoup d’information de source ouverte peut se trouver sur Internet, le CSARS a rappelé aux employés du SCRS que cette information doit être soumise à la même règle de « stricte nécessité » que l’information tirée des autres sources.

Avenir

Dernièrement, comme nous avons pu l’observer, il existe un sentiment de préoccupation au sein de la population à propos de la protection de la vie privée et de l’information qui est recueillie et vendue par les grandes entreprises sur Internet et les médias sociaux. Ce n’est donc pas parce qu’il est possible de recueillir de l’information que l’on a le droit d’être en possession de cette information, et ce n’est pas parce que l’on possède cette information que l’on peut faire ce que l’on veut avec. À l’avenir, les citoyens et les consommateurs commenceront à demander les mêmes assurances aux entreprises qu’ils reçoivent actuellement du gouvernement sous forme d’examens, d’évaluation et de vérification.

Pour le CSARS, des changements se sont produits dans le milieu de la sécurité, du renseignement et certainement de la technologie dans les trente dernières années. Maintenant, il y a un débat pour déterminer si la loi qui a mené à la création du SCRS et du CSARS est aussi utile aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1984. Comme nous soulignons notre trentième anniversaire cette année, nous nous pencherons sur notre rôle – où nous avons commencé, où nous en sommes et où nous nous dirigeons. Pour plus d’information sur ce sujet, je vous encourage à jeter un coup d’oeil à notre rapport annuel qui sera publié cet automne.

Des questions?

Je vais terminer mon introduction ici afin de laisser du temps pour la discussion. Dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui a ensuite conduit à la création du SCRS au début des années 1980, se trouve une citation de l’ancien premier ministre, Lester B. Pearson qui, bien qu’ayant quelques années, demeure pertinente et d’actualité. Pearson a souligné l’importance que « la notion de protection de notre sécurité ou le travail relié à cette protection ne portent jamais atteinte aux droits de la personne ou aux libertés auxquelles nos institutions démocratiques sont attachées. » Les menaces à notre sécurité collective ont changé de nature et de portée au cours de ces trente dernières années, mais le Comité reste fidèle à cette vision dans ses tâches.

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