Discours de Michael Doucet

Présentation de Michael Doucet

Directeur exécutif du CSARS

Les conférences du midi de l’Association des communications et de l’électronique des Forces armées (ACEFA)

1er avril 2014, Ottawa (Ontario)

Bon après-midi. Je tiens à vous remercier pour cette occasion de m’exprimer ici devant vous. Je suis heureux de m’adresser à une audience comme la vôtre, composée de professionnels du milieu de la défense, de la sécurité et du renseignement. Le CSARS n’est peut-être pas ce qui nous vient à l’esprit lorsque l’on pense à ce milieu, mais soyez assurés que notre organisation est hautement professionnelle et joue un rôle essentiel au sein de notre collectivité, un rôle d’évaluation et d’examen. J’ai su qu’on a soulevé la question des examens, au CDI. De plus, j’ai eu de nombreuses discussions avec les dirigeants du milieu, notamment au CDI, sur la question du partage de l’information. Ce sont là deux thèmes sur lesquels j’aimerais vous entretenir aujourd’hui. La technologie est un des facteurs qui font que le partage de l’information devient le modus operandi de la collectivité, et que les examens et les évaluations élèvent le niveau de qualité des organisations tout en rassurant les Canadiens.

Dans une société démocratique, il est essentiel de bâtir et de maintenir la confiance envers les institutions publiques. C’est une tâche qui devient particulièrement importante, mais également difficile, lorsqu’une institution ne peut se soumettre à l’examen du public en raison de la nature secrète de ses activités. C’est le cas du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qui a la responsabilité d’amasser des renseignements sur les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale du Canada.

En déterminant les principes fondamentaux sur lesquels s’appuie le SCRS, les responsables de la Commission royale qui a créé le service ont déclaré ce qui suit : « Dans une société libérale qui, par principe, veut limiter l’intrusion des services secrets de l’État dans la vie privée des citoyens et dans les affaires des organisations politiques et des institutions privées, les techniques d’enquête qui font irruption dans le domaine de la vie privée ne doivent être utilisées que lorsqu’elles sont justifiées de par la gravité et l’imminence d’une menace à la sécurité nationale ». La tâche d’assurer un juste équilibre a été confiée au Comité d’examen du renseignement de sécurité, ou CSARS.

Depuis trente ans, le CSARS est un maillon clé d’un système de vérifications et de contrepoids qui assure la reddition de comptes du SCRS au Parlement et au peuple canadien. Le Comité a pour mandat d’aider à assurer que le Service respecte les droits fondamentaux et les libertés des Canadiens dans son travail d’enquête sur les menaces à la sécurité nationale, au Canada et à l’étranger.

Ces derniers mois, de nombreux médias se sont penchés sur les activités de surveillance de la National Security Agency aux États-Unis. Comme on pouvait s’y attendre, les diverses allégations ont alimenté la critique de l’opinion publique aux quatre coins du monde sur les activités du renseignement qui empiètent sur la vie privée des citoyens. Plus près de nous, la question de savoir si les services du renseignement ont recueilli de l’information sur les communications à caractère privé de simples citoyens a également suscité des préoccupations à l’égard du droit à la vie privée. Malheureusement, ces débats ont souvent négligé le fait qu’il existe des organismes d’examen dédiés, représentés ici aujourd’hui, qui travaillent avec diligence pour s’assurer que les deux plus importantes agences du renseignement au Canada effectuent leur travail de façon appropriée et dans le respect de la loi.

J’aimerais tout d’abord vous donner un aperçu de mon organisation, le CSARS, et vous expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons, et comment nous travaillons. J’espère que cette brève introduction vous permettra de situer, dans une perspective plus large, les garanties que nous offrons au Parlement et au peuple canadien.

Le CSARS est indépendant, ce qui signifie que c’est un organisme externe au pouvoir exécutif du gouvernement. Le Comité ne relève pas d’un ministre; il rend directement compte au Parlement. Le CSARS a le pouvoir quasi illimité d’examiner le travail du SCRS, à la seule exception des Documents confidentiels du Cabinet, c’est-à-dire les délibérations entre ministres. Il a le pouvoir absolu d’examiner toute l’information en possession du SCRS, quelle que soit sa cote de sécurité. Notre Comité se compose de trois à cinq personnes, toutes membres du Conseil privé, qui travaillent à temps partiel. Un directeur exécutif est à sa tête, et nous comptons une douzaine d’employés à temps plein, personnel de recherche et personnel juridique.

Le CSARS est un organisme professionnel qui exerce ses fonctions avec objectivité et compétence. Le Comité a trois fonctions principales : il effectue des études, remet un certificat au rapport annuel du directeur du SCRS présenté au ministre de la Sécurité publique (il s’agit là d’une nouvelle responsabilité que nous endossons) et enquête sur les plaintes. Permettez-moi de vous dresser un bref portrait de chacune de ces fonctions.

Chaque année, les examens du CSARS visent à évaluer un large éventail des activités du SCRS. Il faut bien comprendre que le Comité a le pouvoir d’examiner toutes les activités et opérations du Service. Cela veut dire que nous examinons pourquoi et comment le SCRS cible des individus, la façon dont il utilise et gère les sources humaines, la manière dont il exécute les pouvoirs très intrusifs octroyés au moyen de mandats autorisés par la Cour fédérale, ses échanges d’informations avec les partenaires canadiens et étrangers, et ses opérations au Canada et à l’étranger. Compte tenu de la taille de notre effectif, nous devons être stratégiques dans nos choix, et ce afin de couvrir, en temps utile, un éventail représentatif des activités, des opérations et des programmes du SCRS.

Dans notre deuxième fonction, la procédure de remise du certificat, nous évaluons le rapport annuel du directeur du SCRS présenté au ministre de la Sécurité publique. Le rapport du directeur fournit au ministre des renseignements pour l’aider dans l’exercice de la responsabilité ministérielle à l’égard du SCRS. Le Comité examine ce rapport et donne des garanties quant à la légalité, la nécessité et le caractère raisonnable des activités opérationnelles du Service.

Enfin, nous enquêtons sur les plaintes. En vertu de l’article 41 de la Loi sur le SCRS, le Comité enquête sur les plaintes qui concernent « des activités du Service ». En vertu de l’article 42, il enquête sur celles qui ont trait au refus d’habilitations de sécurité à des fonctionnaires ou à des fournisseurs du gouvernement fédéral. Beaucoup moins souvent, le CSARS fait enquête sur des renvois de la Commission canadienne des droits de la personne ou sur des rapports du ministre concernant la Loi sur la citoyenneté.

Je voudrais revenir sur notre fonction d’examen. Le mandat et les fonctions du CSARS sont définis par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui fixe également des limites claires sur le genre d’activités sur lequel le Service peut enquêter, les façons dont l’information peut être recueillie et qui peuvent voir cette information. Par exemple, en vertu de l’article 12, le SCRS ne peut collecter des informations que dans les limites « strictement nécessaires » des pouvoirs qui lui sont accordés sur les activités qui peuvent constituer « des motifs raisonnables » de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Ces limites sont reprises et définies plus précisément par les instructions ministérielles données au SCRS. Par exemple, le Service doit veiller à ce que « les techniques d’enquêtes qui font intrusion dans la vie privée [soient] utilisées uniquement lorsque cela est justifié par la gravité et l’imminence de la menace à la sécurité nationale. »

Ces questions sont au premier rang de nos préoccupations lorsque nous examinons une enquête ou une activité. Dans nos études, nous posons des questions pour déterminer si les activités du SCRS et la collecte de l’information étaient « strictement nécessaires », « proportionnelles » et qu’il existait des « motifs raisonnables ». Pour vous donner un exemple concret, lors de l’examen des activités du Service sur une cible qui fait l’objet d’une enquête, le Comité évalue si, entre autres, les activités d’enquête étaient proportionnelles à la menace posée par l’individu; si les informations collectées ne portaient que sur les activités liées à la menace; et si les échanges d’informations reliés à l’enquête ont été effectués et suivis de manière appropriée.

Notre dernier rapport annuel contient les résumés de neuf études déclassifiées que nous avons réalisées en 2012–2013. Beaucoup de ces études avaient un lien avec la question de la vie privée, car elles portaient, par exemple, sur les pratiques de partage de l’information du Service avec des partenaires canadiens et étrangers.

Je tiens à souligner que, dans cette ère de l’information, le Comité est parfaitement conscient de la nécessité que le Service respecte les limites imposées par le cadre juridique de la collecte et du partage d’informations. Le CSARS est aussi confronté à une législation qui, surtout sur le plan du partage de l’information, n’est pas aussi à jour qu’elle pourrait l’être. J’aimerais vous donner un exemple pour illustrer ce point.

Dans notre dernier rapport annuel, le CSARS a examiné le rôle du SCRS dans l’affaire de M. Abousfian Abdelrazik. Les préoccupations soulevées par le CSARS étaient que : le SCRS a divulgué de façon inappropriée de l’information classifiée; le SCRS a fait une évaluation du renseignement qui a eu pour conséquence de transmettre de l’information exagérée et inexacte à des partenaires au pays; et qu’il a rapporté de façon excessive de l’information qui n’était pas liée à la menace, provenant de personnes qui n’étaient pas des cibles. Dans la décennie qui s’est écoulée depuis que M. Abdelrazik a quitté le Canada pour une première fois, le CSARS et d’autres commissions d’enquête ont fait de nombreuses recommandations qui devraient s’appliquer dans ce dossier. Par conséquent, le CSARS n’a fait aucune autre recommandation à la suite de son examen.

Cependant, ce que cet examen a mis en lumière, selon nous, ce sont les limites qui empêchent le CSARS de suivre l’information lorsqu’elle est transmise à d’autres ministères ou agences fédérales. Depuis de nombreuses années, le CSARS répète que même si ces pouvoirs d’examen des activités et des opérations du SCRS sont élargis, ils ne sortent pas du cadre du SCRS. Même si l’intégration et le partage d’information deviennent de plus en plus le modus operandi dans le domaine du renseignement, le CSARS croit qu’il devrait avoir les outils nécessaires pour suivre et évaluer efficacement les activités du SCRS. Comme il est dit dans notre rapport annuel, le CSARS doit posséder les outils législatifs et les ressources gouvernementales correspondantes pour s’assurer que la fonction de vérification qui fait partie de son mandat demeure utile et efficace.

Je vais terminer mon introduction ici afin de laisser du temps pour la discussion. Le partage de l’information ne concerne pas que la collectivité de la sécurité, de la défense et du renseignement. Il s’agit de la relation qui existe entre le public et cette collectivité. La transparence, même si elle n’est pas facile dans ce métier, est un aspect fondamental de la démocratie, et il faut trouver un juste équilibre avec la nécessité de garder le secret. Dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui a ensuite conduit à la création du SCRS au début des années 1980 se trouve une citation de l’ancien premier ministre, Lester B. Pearson qui, bien qu’ayant quelques années, demeure pertinente et d’actualité. Pearson a souligné l’importance que « la notion de protection de notre sécurité ou le travail relié à cette protection ne portent jamais atteinte aux droits de la personne ou aux libertés à laquelle nos institutions démocratiques sont attachées. » Les menaces à notre sécurité collective ont changé de nature et de portée au cours de ces trente dernières années, mais le Comité reste fidèle à cette vision dans ses tâches.

 

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