Discours de Michael Doucet

Directeur exécutif du CSARS

15e conférence annuelle sur la confidentialité et la sécurité

Le 6 février 2014 à Victoria (Colombie-Britannique)

Créer et maintenir un sentiment de confiance dans les institutions publiques sont des principes fondamentaux d’une société démocratique. Toutefois, cette tâche primordiale représente un défi lorsque le travail d’une institution ne peut être mis à la disposition du public, car il doit être effectué sous le voile du secret. C’est le cas du travail du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qui a la responsabilité de recueillir des renseignements sur les menaces à la sécurité nationale du Canada.

Lorsqu’elle a établi les principes fondamentaux sur lesquels reposerait le travail du SCRS, la commission d’enquête parlementaire qui a créé le Service a déclaré : « Dans une société libérale qui, par principe, veut limiter l’intrusion des services secrets de l’État dans la vie privée des citoyens et dans les affaires des organisations politiques et des institutions privées, les techniques d’enquête qui font irruption dans le domaine de la vie privée ne doivent être utilisées que lorsqu’elles sont justifiées de par la gravité et de l’imminence d’une menace à la sécurité nationale ». La tâche d’assurer un juste équilibre a été confiée au Comité d’examen du renseignement de sécurité, ou CSARS.

Depuis trente ans, le CSARS est un maillon clé d’un système de vérifications et de contrepoids qui assure la reddition de comptes du SCRS au Parlement et au peuple canadien. Le Comité a pour mandat d’aider à assurer que le Service respecte les droits fondamentaux et les libertés des Canadiens dans son travail d’enquête sur les menaces à la sécurité nationale, au Canada et à l’étranger. Le CSARS a donc parfaitement sa place à une conférence qui vise à engager le dialogue sur l’interaction entre la sécurité et la protection de la vie privée, et sur la tension perçue qui existe entre ces deux impératifs.

Ces derniers mois, de nombreux médias se sont penchés sur les activités de surveillance de la National Security Agency aux États-Unis. Comme on pouvait s’y attendre, les diverses allégations ont alimenté la critique de l’opinion publique aux quatre coins du monde sur les activités du renseignement qui empiètent sur la vie privée des citoyens. Plus près de nous, la question de savoir si les services du renseignement ont recueilli de l’information sur les communications à caractère privé de simples citoyens a également suscité des préoccupations à l’égard du droit à la vie privée. Malheureusement, ces débats ont souvent négligé le fait qu’il existe des organismes d’examen dédiés, représentés ici aujourd’hui, qui travaillent avec diligence pour s’assurer que les deux plus importantes agences du renseignement au Canada effectuent leur travail de façon appropriée et dans le respect de la loi.

J’aimerais tout d’abord vous donner un aperçu de mon organisation, le CSARS, et vous expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons, et comment nous travaillons. J’espère que cette brève introduction vous permettra de situer, dans une perspective plus large, les garanties que nous offrons au Parlement et au peuple canadien.

Le CSARS est indépendant, ce qui signifie que c’est un organisme externe au pouvoir exécutif du gouvernement. Le Comité ne relève pas d’un ministre; il rend directement compte au Parlement. Le CSARS a le pouvoir quasi illimité d’examiner le travail du SCRS, à la seule exception des Documents confidentiels du Cabinet, c’est-à-dire les délibérations entre ministres. Il a le pouvoir absolu d’examiner toute l’information en possession du SCRS, quelle que soit sa cote de sécurité. Notre Comité se compose de trois à cinq personnes, toutes membres du Conseil privé, qui travaillent à temps partiel. Un directeur exécutif est à sa tête, et nous comptons une douzaine d’employés à temps plein, personnel de recherche et personnel juridique.

Le CSARS est un organisme professionnel qui exerce ses fonctions avec objectivité et compétence. Le Comité a trois fonctions principales : il effectue des études, remet un certificat au rapport annuel du directeur du SCRS présenté au ministre de la Sécurité publique (il s’agit là d’une nouvelle responsabilité que nous endossons) et enquête sur les plaintes. Permettez-moi de vous dresser un bref portrait de chacune de ces fonctions.

Chaque année, les études du CSARS visent à évaluer un large éventail des activités du SCRS. Il faut bien comprendre que le Comité a le pouvoir d’examiner toutes les activités et opérations du Service. Cela veut dire que nous examinons pourquoi et comment le SCRS cible des individus, la façon dont il utilise et gère les sources humaines, la manière dont il exécute les pouvoirs très intrusifs octroyés au moyen de mandat autorisés par la Cour fédérale, ses échanges d’informations avec les partenaires canadiens et étrangers, ses postes au Canada et à l’étranger. Compte tenu de la taille de notre effectif, nous devons procéder à choix stratégiques sur les domaines auxquels nous nous intéressons, et ce, afin de couvrir, en temps utile, un éventail représentatif des activités, des opérations et des programmes du SCRS.

Notre deuxième fonction, la procédure de remise du certificat, nous conduit à évaluer le rapport annuel du directeur du SCRS présenté au ministre de la Sécurité publique. Le rapport du directeur fournit au ministre des renseignements pour l’aider dans l’exercice de la responsabilité ministérielle à l’égard du SCRS. Le Comité examine ce rapport et donne des garanties quant à la légalité, la nécessité et quant au caractère raisonnable des activités opérationnelles du Service.

Enfin, nous enquêtons sur les plaintes. En vertu de l’article 41 de la Loi sur le SCRS, le Comité enquête sur les plaintes qui concernent « des activités du Service ». En vertu de l’article 42, il enquête sur celles qui ont trait au refus d’habilitations de sécurité à des fonctionnaires ou à des fournisseurs du gouvernement fédéral. Beaucoup moins souvent, le CSARS fait enquête sur des renvois de la Commission canadienne des droits de la personne ou sur des rapports du ministre concernant la Loi sur la citoyenneté.

Je voudrais revenir sur notre fonction d’examen, qui nous fournit une occasion concrète de voir si, dans son travail de collecte de l’information sur les menaces à la sécurité nationale, le SCRS a respecté les droits des Canadiens, comme le droit à la vie privée.

Le mandat et les fonctions du CSARS sont définis par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui fixe également des limites claires sur le genre d’activité sur lequel le Service peut enquêter, les façons dont l’information peut être recueillie et qui peut voir cette information. Par exemple, en vertu de l’article 12, le SCRS ne peut collecter des informations que dans les limites « strictement nécessaires » des pouvoirs qui lui sont accordés sur les activités qui peuvent constituer « des motifs raisonnables » de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Ces limites sont reprises et définies plus précisément par les instructions ministérielles données au SCRS. Par exemple, le Service doit veiller à ce que « les techniques d’enquête qui font intrusion dans la vie privée [soient] utilisée uniquement lorsque cela est justifié par la gravité et l’imminence de la menace à la sécurité nationale. »

Ces questions sont au premier rang de nos préoccupations lorsque nous examinons une enquête ou une activité. Dans nos études, nous posons des questions pour déterminer si les activités du SCRS et la collecte de l’information étaient « strictement nécessaires », « proportionnelles » et qu’il existait des « motifs raisonnables ». Pour vous donner un exemple concret, lors de l’examen des activités du Service sur une cible qui fait l’objet d’une enquête, le Comité évalue si, entre autres, les activités d’enquête étaient proportionnelles à la menace posée par l’individu; si les informations collectées ne portaient que sur les activités liées à la menace; et si les échanges d’informations reliés à l’enquête ont été effectués et suivis de manière appropriée. Comme vous pouvez l’imaginer, toutes ces questions touchent au domaine de la vie privée.

Notre dernier rapport annuel contient les résumés de neuf études déclassifiées que nous avons réalisées en 2012–2013. Beaucoup de ces études avaient un lien avec la question de la vie privée, car elles portaient, par exemple, sur les pratiques de partage de l’information du Service avec des partenaires canadiens et étrangers ou la collecte d’informations par l’intermédiaire de pouvoirs intrusifs octroyés au moyen de mandat.

Je tiens à souligner que, dans cette ère de l’information, le Comité est parfaitement conscient de la nécessité que le Service respecte les limites imposées par le cadre juridique de la collecte d’informations. De toute évidence, ce n’est pas parce que d’énormes quantités d’informations sont facilement accessibles au public qu’elles doivent être collectées et conservées par notre service du renseignement de sécurité.

Pour illustrer à quel point il est difficile de trouver le juste milieu, permettez-moi de vous donner un exemple, qui date d’il y a quelques années.

Dans l’étude en question, le Comité a choisi de se pencher le rôle opérationnel de l’Internet dans le cadre des enquêtes du Service. L’étude portait sur les stratégies, les politiques et les processus guidant l’utilisation de l’Internet par le SCRS, et entreprenait également à répondre à un certain nombre de questions essentielles. À quel type d’information peut-on avoir accès en ligne qui ne peut être obtenu par des moyens conventionnels? Quelle valeur opérationnelle supplémentaire la collecte de l’information disponible en ligne offre-t-elle aux enquêtes du SCRS? Quelles sont les difficultés liées à l’utilisation de l’Internet comme outil d’enquête, et comment le Service gère-t-il ces défis?

Le CSARS a conclu que l’approche du SCRS, en termes de politique et de procédure, semblait être bonne, et faisait preuve de la souplesse nécessaire pour s’adapter au défi d’un environnement technologique en pleine évolution. Cependant, nous avons également mis en avant diverses préoccupations et nous avons émis des observations importantes sur l’interaction du SCRS auprès des jeunes et sur l’importance que le SCRS applique le critère de « la mesure strictement nécessaire » lorsqu’il recueille des informations en ligne et les conserve.

Je vais m’arrêter ici pour laisser du temps à la discussion. Pour conclure, je vous dirais que la soi-disant « tension » entre la sécurité collective et la vie privée est peut-être plus une hyperbole qu’une véritable dichotomie. Dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui a ensuite conduit à la création du SCRS au début des années 1980 se trouve une citation de l’ancien premier ministre, Lester B. Pearson qui, bien qu’ayant quelques années, demeure pertinente et d’actualité. Pearson a souligné l’importance que « la notion de protection de notre sécurité ou le travail relié à cette protection ne portent jamais atteinte aux droits de la personne ou aux libertés à laquelle nos institutions démocratiques sont attachées. » Les menaces à notre sécurité collective ont changé de nature et de portée au cours de ces trente dernières années, mais le Comité reste fidèle à cette vision dans ses tâches.

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