Discours au Symposium néerlandais

L'honorable Gary Filmon,
Président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

Symposium néerlandais : L'obligation redditionnelle des organismes du renseignement et de la sécurité et les droits de la personne

La Haye, Pays-Bas
Le 7 juin 2007

Bonjour.

Permettez-moi d'abord de remercier les organisateurs du symposium de m'avoir invité à m'adresser à un auditoire aussi prestigieux. Vous m'en voyez très honoré.

Certains parmi vous savez sans aucun doute qu'il s'agit du deuxième symposium international sur l'examen et la surveillance des activités de renseignement. Le premier a eu lieu au Canada en mai 2005 et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou « CSARS » – l'organisme que je préside, en a été l'hôte. Compte tenu de l'évolution rapide de la menace terroriste dans le monde, je suis très heureux que nos homologues néerlandais aient décidé de tenir un autre symposium ici, en Europe. Qui sait, peut-être que certains parmi vous retourneront dans leurs pays avec l'idée de tenir un troisième symposium!

Mon rôle de président du CSARS me procure un point de vue unique sur les discussions d'aujourd'hui qui portent sur les diverses formes d'examen et de surveillance qui existent, et sur les moyens que peuvent prendre les gouvernements démocratiques pour protéger à la fois la sécurité nationale et les droits de la personne. Bien que je ne prétende nullement connaître toutes les réponses à ces questions complexes et très difficiles à résoudre, j'espère que ma présentation favorisera la discussion.

Au préalable, je salue mes copanélistes, M. Myjer et le professeur Cameron, qui ont traité de la responsabilité nationale en matière de sécurité au symposium de 2005. Je suis heureux et honoré de me joindre à eux pour la discussion d'aujourd'hui.

La Commission McDonald

Avant de discuter du modèle canadien de surveillance du renseignement de sécurité, permettez-moi tout d'abord de vous ramener une trentaine d'années, à une époque très turbulente. Le Canada était alors aux prises avec un mouvement de séparatisme violent au Québec qui était responsable d'attentats à la bombe, de kidnappings et de meurtres. Le Service de sécurité pour le Canada - alors partie intégrante de notre service de police national a donc eu la tâche de contrer ces menaces très dangereuses pour la sécurité publique. Ce faisant, le Service de sécurité a malheureusement perpétré plusieurs activités illégales. Lorsque ces illégalités ont été mises au jour par les médias, le gouvernement de l'époque a subi d'énormes pressions pour que de tels abus ne se reproduisent jamais.

Le gouvernement a alors mis sur pied la Commission McDonald, une commission d'enquête indépendante qui a recommandé que le Canada mette sur pied un service de renseignement de sécurité civil, autonome et distinct de son service de police national. Le nouveau Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, recueillerait du renseignement en vue d'informer le gouvernement des menaces à la sécurité nationale, tandis que les organismes d'application de la loi seraient chargés en premier lieu des poursuites contre les infractions en matière de sécurité nationale et d'autres infractions criminelles.

En adoptant la Loi sur le SCRS en 1984, le Canada est devenu l'un des premiers gouvernements démocratiques dans le monde à établir un cadre juridique pour son service de sécurité. Pour la première fois, le Canada disposait d'une loi qui définissait clairement le mandat et les limites du pouvoir étatique en matière de renseignement de sécurité. Tout aussi important, la Loi sur le SCRS prévoyait un cadre pour surveiller l'exercice de ces pouvoirs – un cadre qui a, dans son intégralité, résisté à l'épreuve du temps. Plus précisément, la Loi sur le SCRS décrivait en détail la façon de surveiller le travail effectué par le Service au moyen d'un système rigoureux de contrôles politiques et judiciaires, y compris deux organismes – munis chacun d'un mandat distinct – chargés de surveiller le nouvel organisme.

Le premier organisme est celui de l'inspecteur général du SCRS. L'inspecteur général est un organisme de surveillance interne; il est en quelque sorte le bras droit du ministre de la Sécurité publique du Canada en matière de surveillance des activités du SCRS. Dans les faits, l'inspecteur général agit comme un système d'alerte rapide en veillant à ce que toute illégalité ou source de préoccupation soit portée rapidement à l'attention du ministre. Par « interne », j'attire l'attention sur le fait que l'inspecteur général fait partie de l'appareil bureaucratique du ministre, mais qu'il est indépendant du SCRS lui-même.

Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

Le deuxième organisme – que je préside – est le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou CSARS. Le CSARS est un organisme de surveillance externe qui ne relève pas d'un ministre, mais qui rend des comptes directement au Parlement et, en définitive, à tous les Canadiens et Canadiennes. Le CSARS est tout à fait libre de choisir l'objet de sa surveillance et la méthode qu'il utilise.

Toutefois, le mandat du CSARS se limite à la surveillance du SCRS, ce qui peut parfois poser problème lorsque d'autres ministères ou organismes gouvernementaux prennent part à une enquête ou à une activité en particulier.

Le rôle du CSARS est relativement simple à décrire, bien que son exécution soit complexe. Le Comité a deux fonctions fondamentales : 1) examiner les activités du SCRS et 2) faire enquête sur les plaintes portées contre le SCRS. En vertu de la loi, le CSARS a le pouvoir absolu d'examiner toutes les activités du Service et a accès à tous ses dossiers, peu importe leur classification. Seuls les documents confidentiels du Cabinet, soit les délibérations des ministres, font exception.

Nos études se font en évaluant les activités et les opérations du Service par rapport à quatre instruments, qui forment ensemble le cadre législatif et stratégique du Service. Ce sont : 1) la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2) les directives ministérielles, 3) les exigences nationales en matière de renseignement de sécurité et 4) les politiques opérationnelles du SCRS.

Dans le cadre de chaque étude, le Comité examine plusieurs questions essentielles, notamment :

En règle générale, nos études durent plusieurs mois et comprennent la consultation de milliers de pages de documents. Une fois terminée, l'étude est envoyée au directeur du SCRS et à l'inspecteur général; dans certains cas, nous faisons parvenir l'étude au ministre de la Sécurité publique. Les résultats de ces travaux, qui sont expurgés afin de protéger la sécurité nationale et la vie privée des intéressés, sont résumés dans le rapport annuel du CSARS qui est déposé au Parlement. Depuis sa création, le CSARS a effectué 168 études, qui contenaient 383 recommandations.

Le CSARS étudie également les plaintes portées par des particuliers ou des groupes contre le SCRS. Ces plaintes peuvent viser les « activités du Service », quelles qu'elles soient; les refus d'habilitations de sécurité à des fonctionnaires ou à des entrepreneurs au service du gouvernement fédéral; les plaintes liées à la sécurité nationale dont la Commission canadienne des droits de la personne peut saisir le CSARS; enfin, mais très rarement, les rapports ministériels portant sur des dossiers de citoyenneté.

Lorsque le CSARS reconnaît sa compétence en la matière, l'examen de la plainte se fait lors d'une audience quasi-judiciaire présidée par un ou plusieurs membres du Comité dont le rôle est assimilable à celui d'un juge. Une fois l'audience terminée, le Comité envoie un rapport formulant ses constatations et recommandations au Ministre, au directeur du SCRS et, dans certains cas, à l'administrateur général du ministère concerné. Nous fournissons également un compte rendu déclassifié de notre enquête au plaignant. Jusqu'à présent, le CSARS a produit 125 rapports d'enquête sur des plaintes.

Pour le CSARS, la réunion des études et des plaintes sous un seul organisme s'est révélée avantageuse. Les études nous apportent les connaissances nécessaires pour évaluer et approfondir les plaintes; les plaintes de leur côté, nous donnent une autre « fenêtre » sur les opérations du SCRS, particulièrement en ce qui concerne leurs répercussions sur la vie des Canadiens et des Canadiennes ordinaires. Dans certains pays, ces fonctions sont résolument séparées, mais l'expérience canadienne nous porte à croire que leur réunion sous un même toit comporte des avantages réels.

Qu'elles soient à propos des études ou des plaintes, les recommandations du CSARS ne sont pas exécutoires. Le plan du Parlement ne prévoyait pas que le CSARS allait se substituer au directeur du SCRS, qui est comptable devant le Ministre, ni au Ministre qui, dans le système canadien, est comptable devant le Parlement. Néanmoins, le SCRS a mis en œuvre la plupart des recommandations du CSARS et a reconnu publiquement que le CSARS avait fait de lui un meilleur organisme au fil des ans. À la fin de l'année 2003, le directeur du SCRS de l'époque, Ward Elcock, a déclaré lors d'une conférence publique importante, et je cite :

Vingt années de surveillance incessante ont donné lieu à de nombreuses recommandations sur la façon dont nous pourrions faire les choses différemment. Bon nombre de ces recommandations ont amené le Service à apporter des ajustements à ses procédures de gestion. Les recommandations du CSARS ont visé le fonctionnement même du Service, y compris la manipulation des sources, les méthodes d'enquête, les décisions en matière de ciblage et d'autres fonctions de base.

Partageons-nous toujours les vues du CSARS? Pas toujours, mais là n'est pas la question. Il s'agit de veiller à ce que le processus de surveillance continue de susciter le débat sur les façons d'assurer le respect des principes de la Loi au fur et à mesure que nous évoluons et que nous nous adaptons aux nouvelles menaces. C'est ce que recherchaient les législateurs.

Au fil des ans, les Canadiens et les Canadiennes ont acquis le sentiment que le CSARS jouait un rôle important pour s'assurer que l'une des plus puissantes institutions de notre pays assume ses responsabilités démocratiques. En avril 2006, les résultats d'une recherche sur l'opinion publique portant sur la connaissance et les attitudes des Canadiens et des Canadiennes envers les organismes de surveillance en général et envers le CSARS en particulier ont été publiés. Plus des deux-tiers des Canadiens et des Canadiennes qui ont répondu (69 %) ont affirmé que l'existence d'un organisme chargé de surveiller le SCRS était « très importante ». De plus, 65 % d'entre eux croyaient que le CSARS avait fait une différence allant de « modérée » à « grande » dans la façon de fonctionner du SCRS.

La Charte canadienne des droits et libertés

Comme je l'ai mentionné plus tôt, le CSARS a comme objectif principal de veiller à ce que le SCRS se conforme à la loi et que, par conséquent, il ne mine pas les droits et libertés fondamentaux des Canadiens et des Canadiennes. Au Canada, le principe des droits de la personne est ancré dans la Constitution par la Charte canadienne des droits et libertés, qui célèbre son 25e anniversaire cette année.

La plupart des droits et libertés enchâssés dans la Charte en 1982 n'étaient pas entièrement nouveaux; dans les faits, les Canadiens et les Canadiennes jouissaient de nombre d'entre eux depuis longtemps. Ils découlaient de la législation fédérale, des traités internationaux auxquels le Canada était partie et de la jurisprudence de la common law. Cependant, l'adoption de la Charte a garanti ces droits et libertés au Canada, ce qui signifie que toutes les lois fédérales et provinciales doivent les respecter. Les Canadiens et les Canadiennes ont également acquis le pouvoir d'interjeter appel aux tribunaux lorsqu'ils croient que l'État porte atteinte aux droits garantis par la Charte ou qu'il les nie.

La Charte offre à chacun au Canada la protection de certains droits et libertés essentiels au maintien de notre société libre et démocratique. Elle garantit quatre droits et libertés fondamentaux.

  1. la liberté de conscience et de religion;
  2. la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse;
  3. la liberté de réunion pacifique;
  4. la liberté d'association.

Elle procure aussi à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; le droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires; le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités; enfin, le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Cela dit, la Charte du Canada prévoit que ces droits peuvent être assujettis à des « limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ». En d'autres termes, le gouvernement peut légalement limiter les droits de la Charte qui s'appliquent à un particulier; cette disposition restrictive a servi au cours des vingt-cinq dernières années à empêcher diverses actions répréhensibles comme les discours haineux et l'obscénité. Elle a également permis de définir ces limites afin de protéger les Canadiens et les Canadiennes d'une ingérence déraisonnable du gouvernement. Cette disposition limitative n'est pas unique à la Charte canadienne; la Convention européenne des droits de l'homme, par exemple, établit plusieurs limites similaires.

Dans l'exercice des fonctions du CSARS, nous devons souvent examiner des questions découlant de la Charte. Par exemple, les personnes qui se sont plaintes au CSARS que leurs entrevues d'immigration ou de citoyenneté avaient été incorrectes parce que les agents du SCRS leur avaient posé des questions sur leurs opinions religieuses ou leur association à certains groupes. De plus, dans le cadre de nos études, nous examinons régulièrement la façon dont le Service s'acquitte des mandats judiciaires qui lui sont accordés afin de s'assurer que ces techniques d'enquête par intrusion sont conformes aux lois et aux conditions imposées par la Cour et que, par conséquent, elles ne constituent pas des fouilles, des perquisitions ou des saisies abusives.

Qu'il fasse enquête sur des plaintes ou qu'il effectue des études, le CSARS tente toujours d'établir un équilibre entre les droits individuels et l'intérêt de l'État à assurer la sécurité nationale.

Les tribunaux canadiens ont reconnu la contribution du CSARS à l'équilibre entre la sécurité nationale et la justice fondamentale. En février de cette année, la Cour suprême du Canada a statué sur le système de certificat de sécurité qui permet au gouvernement du Canada de détenir une personne sans porter d'accusation ou de passer en jugement des résidents permanents et des non-citoyens qui sont considérés comme des menaces à la sécurité nationale. Je devrais souligner que l'on n'a pas fréquemment recours à ce système; à l'heure actuelle, seuls cinq individus font l'objet de tels certificats, et un seul demeure détenu. Dans sa décision, la Cour suprême a statué que notre système de certificats de sécurité n'est pas conforme à la Charte. Plus précisément, elle a déclaré que les certificats de sécurités portent atteinte au droit de l'individu à la vie, à la liberté et à la sécurité parce que le processus qui permet d'utiliser des preuves secrètes et n'offre pas une audition rapide de la preuve violait les principes de la justice fondamentale. La Cour suprême a accordé une année au gouvernement fédéral pour réécrire la loi afin de corriger ces lacunes.

Dans sa décision, la Cour suprême a attiré l'attention sur le bien-fondé de la façon de procéder du CSARS qui fait représenter les intérêts des plaignants par un conseil indépendant disposant de l'autorisation de sécurité requise lorsque les plaignants doivent être exclus de la salle d'audience pour des motifs de sécurité. Le conseil du CSARS est censé contre-interroger les témoins du SCRS avec toute la vigueur à laquelle on est en droit de s'attendre de la part du conseil d'un plaignant. Une fois la partie ex parte de l'audience terminée, le plaignant reçoit un résumé de l'audience qui le renseigne le plus possible sans toutefois lui divulguer des renseignements concernant la sécurité nationale. De cette façon, le CSARS cherche à assurer l'équité procédurale que garantit la Charte canadienne.

Le CSARS cherche également à accomplir son travail avec objectivité, équité et équilibre. Nous sommes conscients que dans une société libre, nous devons employer toutes les ressources à notre disposition pour contrer les menaces à la sécurité de notre pays, la plus grave étant le terrorisme. Par contre, nous devons maintenir les principes de la responsabilité, de l'équité, de l'adhésion absolue à la règle de droit et respecter les droits individuels. Les exigences de la sécurité publique et les principes de la démocratie, comme je l'ai déjà déclaré antérieurement, ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Qui plus est, les droits individuels sont sans valeur en l'absence de sécurité réelle et prolongée.

J'avoue que cette tâche est plus difficile à assumer depuis le 11 septembre 2001, car les allégations d'abus des droits de la personne au nom de la lutte contre le terrorisme fusent de nombreux pays, et le Canada n'échappe pas à la controverse. Le cas de Maher Arar, que le CSARS avait étudié avant que le gouvernement fédéral ne nomme une commission d'enquête indépendante, illustre parfaitement mon propos. Plus récemment, une autre commission a été établie pour enquêter sur le cas de trois hommes qui ont allégué que des agents canadiens avaient été impliqués dans leur détention et leur torture à l'étranger.

De toute évidence, les démocraties occidentales doivent veiller à ce que leur sécurité collective ne soit pas assurée au prix de nos droits et libertés. Les mesures prises pour lutter contre le terrorisme et la protection des droits de la personne et des libertés fondamentales ne s'excluent pas mutuellement; en réalité, elles devraient se renforcer mutuellement.

Permettez-moi de conclure en vous disant que le Canada veut posséder une forte capacité de lutte contre le terrorisme et les autres menaces à sa sécurité nationale, mais qu'en même temps le CSARS existe pour veiller à ce que le SCRS fonctionne en respectant la règle de droit.

Je suis très fier que les mécanismes de responsabilisation établis par le Canada, mon comité y compris, ont contribué à rendre le SCRS plus professionnel et plus diligent - de cette façon, nous avons aidé à protéger les droits et libertés fondamentaux des Canadiens et des Canadiennes. Cet objectif a pris encore plus d'importance depuis le 11 septembre, car nous luttons pour maintenir notre société libre et ouverte, tout en nous défendant contre les menaces à notre sécurité.

Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.

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