Discours liminaire au Colloque international sur la surveillance et le contrôle

L'honorable Paule Gauthier, Présidente
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

Ottawa, Ontario
le 18 mai 2005

Introduction

Bonjour,

Je vous remercie de votre aimable présentation, Feridun. Je veux vous manifester ma gratitude pour vos efforts et ceux de vos collègues de l'Université Carleton qui ont aidé à organiser cet impressionnant colloque.

Votre puissant appui et votre partenariat expliquent pourquoi la réputation de Carleton à titre d'établissement de calibre international ne cesse de s'étendre.

Depuis que le CSARS a tenu son premier petit atelier sur l'examen de la sécurité, au lac Meech dans les années 80, nous rêvons d'un colloque de cette ampleur. Nous étions loin de nous douter qu'il faudrait attendre 20 ans et l'engagement d'un groupe d'universitaires déterminés de Carleton pour nous aider à le réaliser!

Je suis ravie de voir un tel groupe de spécialistes, d'universitaires, de professionnels, d'experts juridiques, de décideurs du secteur public et de journalistes talentueux et érudits, tous réunis pour discuter d'importantes questions de surveillance et de contrôle. Étant donné les défis que représente le contexte ultérieur au 11 septembre, cet ambitieux aréopage ne pouvait se réunir à un moment mieux choisi.

Ce colloque est un autre jalon dans nos efforts collectifs pour renforcer la surveillance et le contrôle de nos organismes de renseignement de sécurité. Son caractère multinational et divers illustre aussi à quel point la collectivité de la surveillance et du contrôle a grandi et mûri au fil des deux dernières décennies.

Œuvrant moi-même en ce domaine depuis nombre d'années, je puis vous assurer que nous avons parcouru une très longue route depuis ce jour de l'été 1984 où nous assistions à la naissance du SCRS et du CSARS. La mention de 1984 n'a plus de consonances sinistres, mais elle rappelle une observation intéressante de George Orwell, observation qui, à mon sens, s'applique à nous, ici rassemblés en 2005.

Selon Orwell, chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante.

Au moment d'entrer dans la seconde génération de la surveillance du renseignement de sécurité au Canada, le défi qu'il nous faut relever est, je crois, d'être à la fois plus sage et plus intelligent.

Pourquoi? Parce qu'à mesure que grandit la complexité du contexte de la sécurité, il devient également de plus en plus impérieux de réévaluer ce que nous faisons et de quelle manière nous nous y prenons.

Être plus sage signifie revenir sur les leçons que nous avons tirées et le savoir que nous avons acquis. Être intelligent signifie se tourner vers l'avenir pour voir quel est le meilleur usage que nous pouvons faire de ces leçons et de ce savoir.

Aujourd'hui, j'aimerais faire un retour sur le passé et me tourner vers l'avenir pour combler l'écart entre les générations passée et future de la surveillance de la sécurité, entre ce que nous avons fait et ce que nous devons faire, à mon avis.

Par là, j'espère éclairer quelque peu la manière dont nous pouvons aller de l'avant ensemble pour nous assurer une efficacité de tous les instants en période difficile.

Le CSARS aujourd'hui

Avant de parler du passé et de l'avenir, j'aimerais faire une observation au sujet du présent.

Je trouve assez ironique que, vingt ans après la création du CSARS, nous semblions avoir bouclé la boucle. Par la Loi antiterroriste, la GRC est de retour dans le tableau de la sécurité nationale à un degré inégalé depuis la fin des années 70.

Nous avons aussi une autre commission d'enquête, dirigée celle-là par le juge O'Connor, qui examine la possibilité d'un nouveau mécanisme destiné à assurer la surveillance des fonctions de la GRC liées à la sécurité nationale. Enfin, le gouvernement a fait part de son intention de déposer un projet de loi visant à créer un nouveau comité de parlementaires qui s'occuperait des questions de sécurité nationale.

Qu'est-ce que cela signifie pour le CSARS? Franchement, tout est possible entre le statu quo et un mandat très élargi pour le Comité. À ce sujet, ce que je conseille aux décideurs, c'est de réfléchir longuement et de façon sérieuse avant de réinventer la roue, alors que la majeure partie du système en place a bien fonctionné pendant deux décennies.

Dans un mémoire public présenté en février dernier au juge O'Connor, le CSARS a noté qu'il avait plus de vingt années de savoir et d'expérience dans l'examen des activités du SCRS. En conséquence, nous croyons que, si un mécanisme semblable doit être institué à l'égard des fonctions de la GRC liées à la sécurité nationale, nous sommes alors outillés pour assumer ce rôle et prêts à le faire.

À mon avis, les Canadiens veulent l'assurance que, tout comme le SCRS, la GRC soit assujettie à un mécanisme de surveillance assurant qu'elle respecte l'équilibre délicat entre les droits individuels et la sécurité nationale. Ses vingt années d'expérience en ce domaine ont conféré au CSARS la crédibilité et l'expertise voulues pour y parvenir.

Regard sur les progrès réalisés par le CSARS

Lorsque nous avons commencé à scruter les activités liées au renseignement de sécurité au pays, nous faisions face à un énorme défi, celui de traiter avec le Service canadien du renseignement de sécurité, créé depuis peu. En toute franchise, le SCRS résistait presque sans cesse à nos efforts de surveillance.

En 1984, il fallait s'y attendre parce que la dissolution du Service de sécurité de la GRC et la création du SCRS n'ont pas été sans susciter des frictions. En dépit du fait que le CSARS était un nouvel organisme, mes collègues membres du Comité et moi-même avons persisté et refusé d'accepter un « NON » comme réponse.

Notre tâche, telle que nous la percevions, était de veiller non seulement à ce que le SCRS fasse les bonnes choses, mais aussi à ce qu'il les fasse bien. En résumé, elle consistait à l'obliger à rendre des comptes.

Plus le SCRS s'entêtait, plus nous devenions loquaces, soulignant les problèmes et formulant des recommandations. Cela a donné lieu à des relations plutôt empreintes d'opposition, mais à la fin nous avons obtenu des résultats.

Par exemple, dans son rapport de 1986-1987, le CSARS a conclu que la Direction de l'antisubversion du Service s'ingérait dans la vie d'un trop grand nombre de Canadiens, tout en polarisant ses efforts sur des cibles qui représentaient une menace minime pour le Canada. Nos craintes et un rapport du greffier du Conseil privé ont amené la dissolution de cette direction.

Au cours des vingt dernières années, les observations et recommandations du CSARS ont touché le noyau des activités du SCRS, y compris des affaires d'exploitation de sources, des méthodes d'enquête, des décisions de ciblage et d'autres fonctions clés.

Nous nous sommes en outre employés sans relâche à protéger et à sauvegarder les droits civils de dizaines de citoyens canadiens et d'immigrants admis qui ont porté plainte contre le Service au fil des ans.

Je ne puis exposer les détails classifiés de nos études, mais je puis dire que, dans la grande majorité des cas, le CSARS a constaté que le SCRS avait agi dans la légalité et conformément à son mandat.

Mais cela ne signifie pas que nous n'avons relevé aucun problème. De la tragédie d'Air India à l'Affaire du Heritage Front, le CSARS a formulé des constatations et des recommandations visant à corriger les faiblesses du Service et à améliorer son rendement. Cette surveillance constante a fait du SCRS une meilleure organisation, à mon avis.

En définitive, nos interventions étalées sur plus de vingt ans ont fait du SCRS une organisation plus mûre, plus disciplinée et plus professionnelle. Nous le surveillons étroitement, examinant ses activités de A à Z.

Le SCRS en est conscient et il agit en conséquence. Ses enquêtes sont maintenant menées en grande partie de manière à respecter les droits individuels des Canadiens. En conséquence, nous avons relevé beaucoup moins de problèmes ces dernières années.

Nous avons pour mandat de signaler ce qui ne va pas en matière de renseignement de sécurité, mais aussi de faire valoir ce qui va.

L'évolution du SCRS et du CSARS au fil des deux dernières décennies a été fort enrichissante. Au moment de préparer mon départ après deux mandats à la présidence du CSARS, je suis très heureuse de dire que le SCRS a nettement amélioré son mode de fonctionnement.

De nos jours, les rapports du CSARS avec le SCRS peuvent parfois être empreints d'opposition, mais ils ne sont nullement acrimonieux. Je préfère parler de « saine tension » entre les deux organismes. Bref, nous avons établi des relations de travail professionnelles au sein d'une structure de surveillance qui fonctionne bien pour les Canadiens.

Tirer parti de notre réussite

Les mécanismes de surveillance du Canada ont été en grande partie fructueux jusqu'ici, mais il nous faut nous demander s'ils continueront de bien nous servir dans l'avenir.

Des menaces mondiales, notamment le terrorisme international et l'extrémisme djihadiste, modifient le paysage du renseignement de sécurité. Ces dernières années, le Canada a pris des mesures exceptionnelles pour se défendre contre ceux qui pourraient ébranler le droit de ses citoyens à vivre dans une société sûre. La plus importante d'entre elles est le dépôt de la Loi antiterroriste et de la Loi de 2002 sur la sécurité publique.

En scrutant les contextes législatifs passé et actuel, il importe de noter que, la dernière fois que le Parlement a adopté une loi dans le domaine de la sécurité, nous étions à l'ère de la Charte, époque où était à son apogée l'approche fondée sur les droits des relations entre les individus et la société.

Aujourd'hui, beaucoup diraient que nous sommes passés à une approche axée sur la sécurité.

Soyons clair : les droits individuels et la sécurité nationale ne sont pas des concepts qui s'excluent mutuellement. L'un n'exclut pas l'autre, quoi qu'en disent certains politiciens et fonctionnaires.

À titre d'indication, il suffit de se reporter à la Charte des droits et libertés. Selon la Charte, les droits fondamentaux sont la vie, la liberté et la sécurité de la personne.

Nous pouvons, bien sûr, discuter sans fin des définitions de la liberté et de la sécurité, mais pour moi le message de la Charte est clair : l'attachement à la liberté et l'attachement à la sécurité vont de pair dans une société libre et démocratique.

Voilà pourquoi, à titre de Canadienne fière, la Charte est à mes yeux l'une des réalisations les plus importantes de notre société.

Le double attachement de la Charte à la liberté et à la sécurité est au cœur de toute notre action en matière de surveillance et de contrôle du renseignement. C'est un attachement qui doit demeurer constant. Cela dit, nous devons admettre que la préservation de l'équilibre entre la sécurité collective et les droits individuels n'est pas et ne sera jamais une proposition à somme nulle.

Personne ne sort clairement gagnant ou perdant de ce jeu de balancier. L'important, si vous me passez l'expression, est la manière de jouer le jeu, surtout de nos jours où les enjeux sont plus élevés que jamais.

Nous devons continuer à jouer de finesse, en demeurant souples face au changement ainsi que vigilants et proactifs dans nos relations avec la collectivité du renseignement de sécurité. En termes simples, nous devons être en tout au meilleur de notre forme.

Dans la complexité actuelle du contexte de la sécurité, nous savons que le rôle de surveillance et de contrôle est plus important que jamais. C'est un rôle qui exige un leadership cohérent de notre part.

Mais que veut dire leadership?

D'une part, cela signifie mettre l'accent moins sur la conformité et davantage sur l'exactitude des renseignements recueillis et sur la qualité des analyses qu'ils subissent.

Une analyse saine va de pair avec un jugement éclairé : nos deux meilleurs alliés pour prévenir les erreurs en matière de renseignements et assurer au gouvernement les conseils et recommandations les meilleurs possibles.

S'il est une leçon que nous avons tirée des vingt années de surveillance au Canada, c'est que ni les services de renseignement ni les organismes de surveillance n'ont le monopole de la vérité. Cela tient au fait que la vérité ne se détache jamais en noir et blanc à l'une des extrémités du spectre : elle se trouve généralement quelque part dans le gris sombre du milieu.

Comme l'ont montré les renseignement erronés et trompeurs relatifs aux armes de destruction massive en Irak, des erreurs du renseignement peuvent mener à la guerre, avec toutes les souffrances humaines qu'elle comporte. Les civils irakiens en ont subi et en subissent encore les lourdes conséquences.

De telles erreurs ont aussi amené nos alliés à s'interroger longuement et, dans le cas des États-Unis, à entreprendre l'une des réorganisations les plus ambitieuses et radicales de leurs organes du renseignement de sécurité depuis des dizaines d'années.

Les États-Unis ont reconnu, espère-t-on, que les intervenants du renseignement doivent faire un usage plus efficient de leurs ressources de façon à pouvoir améliorer à la fois la qualité et la fiabilité de leurs produits et à peaufiner leur compétence à recueillir la bonne information et à la partager avec les autres.

Le dernier point que je veux faire ressortir au sujet du leadership a trait au contexte public actuel.

D'après un sondage EKOS mené récemment, le public est de moins en moins confiant que le gouvernement atteindra le juste équilibre entre la sécurité publique et les libertés civiles. Seulement 39 p. 100 des Canadiens croient que le gouvernement saura y parvenir, soit le pourcentage le plus faible en trois ans et demi.

En règle générale, les Canadiens favorisent toutefois une approche plus « coriace ». Cinquante-huit pour cent croient que la réponse du gouvernement face au terrorisme a été « appropriée », alors qu'une autre tranche de trente pour cent estime que le gouvernement n'est pas allé « assez loin ».

Dans la tension dynamique entre les droits individuels et la sécurité collective, nous savons que plane toujours un danger que le pendule aille trop loin d'un côté. De nos jours, il oscille nettement dans le sens de la sécurité. En qualité de professionnels de la surveillance et du contrôle, nous ne pouvons nous permettre de nous laisser influencer par les courants changeants de l'opinion publique. La loi, c'est la loi.

Néanmoins, si l'on nous en fournit l'occasion, nous devrions affirmer si la législation n'est pas claire ou va trop loin peut-être. L'exposé récent du CSARS au Comité sénatorial spécial chargé d'examiner la Loi antiterroriste est un exemple de ce type d'intervention.

Il y a toutefois divergence de vues, je le reconnais, quant à savoir où, au juste, le pendule de la sécurité devrait s'arrêter.

Le juge Ian Binnie de la Cour suprême, qui parlait des certificats de sécurité à une conférence récente sur l'antiterrorisme, a déclaré qu'il est « absolument nécessaire » que les tribunaux fassent preuve de déférence à l'endroit des organismes du renseignement de sécurité, parce qu'ils ont plus d'expertise et d'information que les juges.

Cependant, le juge Binnie a tôt fait de formuler une réserve.

« À quel point, demande-t-il, cette déférence s'arrête-t-elle? À partir de quel point peut-on la qualifier d'exagérée? À partir de quel point dit-on que l'empereur n'a pas de vêtements. »

Nous ferions bien de garder cela à l'esprit, dans nos efforts pour parvenir à un juste équilibre, tout en continuant à obliger ces organismes à rendre des comptes.

Maintenant que je vous ai exposé la façon dont le CSARS voit le contexte de la sécurité et la meilleure manière d'y répondre, j'aimerais vous faire part de mon optique de citoyenne avertie sur les étapes qu'il nous faudra franchir au fil des prochaines années.

Messages particuliers

Mon premier message vise le SCRS.

Nous connaissons tous les longs débats qui entourent la création d'une capacité à recueillir des renseignements de sécurité à l'étranger. Effectivement, le SCRS déclare depuis un certain temps qu'il a et exerce déjà ce pouvoir.

Comme certains d'entre vous le savent peut-être, l'article 12 de la Loi sur le SCRS autorise le Service à recueillir, analyser et conserver l'information et les renseignements concernant les activités qui, pour des motifs raisonnables, peuvent être soupçonnées de constituer une menace envers la sécurité du Canada.

Le CSARS a déjà conclu que la collecte de renseignements visés à l'article 12 n'a pas de limites géographiques. Nous avons déclaré publiquement que cet article confère clairement au SCRS le mandat de mener des activités d'enquête à l'extérieur du Canada et nous entrevoyons que de telles opérations s'intensifieront à mesure que s'aggrave la menace du terrorisme international.

J'irais plus loin, cependant, et j'exhorterais le SCRS à devenir beaucoup plus actif dans la collecte de renseignements étrangers. À mon sens, il devrait mener régulièrement des activités secrètes à l'étranger, tout comme le MI6 le fait pour la Grande-Bretagne.

Pourquoi? Parce qu'il est grand temps que nous cessions de compter sur les autres pays pour nous fournir, en matière de sécurité, l'information que nous devrions aller recueillir nous-mêmes.

Dans un contexte de la sécurité dont le caractère est de plus en plus international, nous avons besoin d'une capacité de collecte de renseignements à la fois plus généraux et plus stratégiques. C'est le seul moyen de produire en temps utile le type de renseignements élaboré dont notre gouvernement a besoin pour faire face aux menaces à la sécurité nationale et internationale.

Ne nous y trompons pas : notre capacité permanente à protéger notre souveraineté nationale et la sécurité des citoyens est directement liée à celle de produire de bons renseignements pour les décideurs de l'État. Ce processus ne comporte ni raccourcis ni resquille.

Une collecte de renseignements plus dynamique comporte-t-elle des risques? Je vous parie que si.

Imaginez qu'un agent de renseignement canadien soit détenu ou tué à l'étranger dans l'exercice de ses fonctions. Pensez aux problèmes que cela pourrait susciter dans nos relations avec l'étranger, ou encore aux embarras possibles sur la scène internationale.

Cependant, face à la situation dans son ensemble, ces risques ne souffrent pas la comparaison avec celui, beaucoup plus grand, de confier la sécurité des Canadiens à d'autres nations. À mon sens, ce risque est simplement inacceptable.

À vrai dire, les Canadiens doivent décider s'ils ont l'envie d'entreprendre ce genre de travail et l'argent pour le faire. Tout ce que je puis dire, c'est que si nous n'avons pas le cran de le faire maintenant, nous ferions mieux de nous y mettre, et vite.

Je ne puis souligner avec suffisamment de force que, dans le monde d'aujourd'hui, la collecte de renseignements concernant des États ou des ressortissants étrangers est essentielle à la sécurité nationale.

Si nous voulons continuer de jouer le jeu de la sécurité nationale, il nous faudra accéder aux ligues majeures. Ce ne sera pas toujours agréable, ce ne sera pas toujours facile et ce ne sera pas toujours beau, mais tel est le monde dans lequel nous vivons. Plus nous nous y habituerons rapidement, mieux ce sera.

Mon second message s'adresse aux parlementaires canadiens. Tout comme il est temps que le SCRS joue un rôle élargi, le Parlement aussi doit assumer de nouvelles responsabilités.

Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, le CSARS est un organisme indépendant qui surveille de l'extérieur les activités du SCRS et en rend compte au Parlement. Mais il y a plus de deux ans (18 février 2003) que le Comité n'a pas comparu devant le Sous-comité du Parlement sur la sécurité nationale. En toute franchise, il est difficile pour le CSARS de ne pas être quelque peu déçu du peu d'attention que l'on porte à son travail.

Néanmoins, pas plus tard que le mois dernier, le gouvernement a annoncé son intention de créer un nouveau comité de parlementaires qui s'occuperait des questions de sécurité nationale.

Le mandat de ce comité serait d'examiner l'appareil canadien de la sécurité et du renseignement pour assurer que nous avons les politiques, les ressources et la législation dont nous avons besoin pour atteindre nos objectifs en matière de sécurité nationale.

Députés et sénateurs peuvent faire un apport important, je crois, mais seulement s'ils s'engagent à l'égard d'un processus d'étude cohérent et approfondi. S'ils doivent s'engager, il faudra que ce ne soit pas que du bout des lèvres et qu'ils plongent vraiment dans les eaux troubles du renseignement pour la sécurité nationale.

En qualité de premier président du CSARS, Ron Atkey a fait valoir que la sécurité nationale n'est pas l'endroit pour les futilités du sectarisme politique.

Les députés et les sénateurs devront passer bien du temps en eau profonde en prêtant davantage attention aux organismes de surveillance, en peinant en coulisses à lire et à écouter et, bien sûr, en participant à des séances « à huis clos », qui sont critiques pour la sécurité, et donc loin des projecteurs.

Ce n'est peut-être pas aussi sympa qu'un film de James Bond, mais, pour les parlementaires, c'est la meilleure façon de fournir un apport significatif et durable à la sécurité nationale. Ce genre de travail ne leur gagnera pas des suffrages, mais il leur vaudra un respect plus profond de la part des Canadiens.

Cela dit, soyons clair quant à la manière dont ce comité pourrait améliorer l'étude du renseignement.

Selon notre processus actuel, le CSARS examine après coup les activités qui ont trait à la sécurité. D'autre part, un comité parlementaire pourrait jouer un rôle beaucoup plus proactif en allant au-devant des problèmes avant qu'ils ne s'aggravent et en prenant des mesures préventives.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'un comité parlementaire retient davantage l'attention publique et peut exercer une influence plus profonde que le CSARS sur la prise des décisions gouvernementales. Un tel comité peut vraisemblablement remettre davantage en question les politiques et la prise des décisions dans le secteur public, chose qui déborde clairement le mandat du CSARS.

Un modèle possible pour le comité parlementaire que l'on entrevoit au Canada est le Comité britannique du renseignement et de la sécurité. Celui-ci, qui existe depuis dix ans, s'est révélé un atout véritable pour la gestion du système de sécurité nationale de la Grande-Bretagne.

Une particularité impressionnante de ce comité est qu'il n'hésite pas à demander si le gouvernement prend ou non les bonnes décisions en matière de sécurité ou si les services de renseignement britanniques y donnent suite comme il se doit.

Un bon exemple est l'attentat terroriste de 2002, à Bali, qui a amené le Comité à mettre en question publiquement les avis donnés aux voyageurs par le British Foreign and Commonwealth Office. En dépit du fait que ce comité n'a aucune responsabilité à l'égard de cet organisme, le gouvernement a accepté sa recommandation et annoncé une vaste étude tant de la politique que du mécanisme concernant les avis aux voyageurs.

Un comité parlementaire qui « a le bras aussi long » serait bien accueilli par la collectivité canadienne de la surveillance. Comme le disait Ron Atkey, un tel comité agirait à la fois comme « un ballon d'essai et une soupape de sûreté » en représentant le public lorsque les choses tournent mal et que les Canadiens exigent des réponses.

À mon sens, pareil comité compléterait le rôle du CSARS, soit examiner le rendement du SCRS et sa conformité avec la loi, tout en contribuant à une responsabilité et à une transparence générales plus grandes en matière de sécurité nationale.

Mon troisième et dernier message s'adresse aujourd'hui à la collectivité même de la surveillance et du contrôle, dont les membres du CSARS, aux membres éventuels du nouveau comité parlementaire et aux organismes de surveillance et de contrôle d'autres pays.

En 2005, nous nous retrouvons dans le contexte de sécurité le plus complexe et difficile des dernières décennies. Dans ce contexte, il faut nous garder de tenir quoi que ce soit pour acquis et de prendre des déclarations pour argent comptant.

Nous devons nous employer avec plus d'ardeur que jamais à connaître les deux facettes d'une même question et aussi à toujours demeurer indépendants des organismes dont on nous a confié la surveillance.

Les organismes de surveillance et de contrôle peuvent exercer de nombreuses fonctions, qu'il s'agisse d'évaluer le rendement ou de veiller à une bonne utilisation des fonds.

Cependant, la raison d'être de ces organismes est surtout de veiller à ce que les services de renseignement de sécurité agissent dans la légalité, de manière à protéger les droits et libertés individuels des citoyens.

La défense des libertés individuelles ne nous fera gagner aucun concours de popularité auprès des organismes de renseignement de sécurité. Si nos critiques les irritent, nous ferions bien de réagir en brandissant l'une des célèbres maximes d'Orwell : si la liberté a un sens, c'est bien de pouvoir dire que deux et deux font quatre, même si les gens n'en veulent rien entendre.

Ce que les Canadiens veulent entendre, c'est que nous exigeons des comptes des services de renseignement de sécurité. Oui, nous exigeons d'eux un degré d'excellence élevé et devons continuer de le faire, en particulier au moment où le pendule oscille dans leur direction.

Après tout, le degré d'excellence que nous soutenons est celui d'une société libre, ouverte et démocratique. Les Canadiens n'en attendent pas moins de nous, dans notre travail.

J'espère sincèrement que les messages formulés aujourd'hui susciteront les débats et la discussion au sujet de ce que nous faisons et de la manière de nous y prendre. Nous devons nous demander quelle est la meilleure façon d'atteindre notre objectif commun, celui de trouver un équilibre véritable entre la sécurité collective et les droits individuels au Canada.

Comme je quitte le CSARS le mois prochain, je remercie mes collègues de la collectivité de la surveillance qui ont travaillé avec autant d'acharnement à préserver l'équilibre délicat entre les droits individuels et la sécurité publique.

Votre engagement et votre exemple ont été très déterminants dans la réussite du CSARS au fil des ans et je suis très fière de célébrer avec vous aujourd'hui le 20e anniversaire du Comité.

À toutes et à tous, je souhaite un colloque fructueux et enrichissant.

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