Discours au Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste

Susan Pollak, Directrice exécutive
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

Ottawa, Ontario
le 18 avril 2005

Bon après- midi.

J'aimerais tout d'abord vous transmettre les salutations de la présidente et des autres membres du comité qui n'ont pu se joindre à nous aujourd'hui. Je parlerai en leur nom, en ma qualité de directeur exécutif. C'est pour moi un grand honneur de vous parler aujourd'hui. J'espère sincèrement que mes observations vous aideront dans votre examen de la Loi antiterroriste.

J'aborderai trois éléments. Tout d'abord, je survolerai très rapidement le rôle du CSARS. Ensuite, je parlerai du premier examen du CSARS sur une activité du SCRS découlant directement de la Loi antiterroriste, plus précisément le rôle de ce dernier dans le processus d'inscription des entités terroristes. Enfin, je ferai quelques observations sur la Loi sur la protection de l'information, modifiée par la Loi antiterroriste, en ce qui concerne le rôle du CSARS dans la défense d'intérêt public dont peut se prévaloir une personne astreinte au secret à perpétuité qui divulgue des renseignements classifiés.

Le CSARS est un organisme d'examen externe indépendant du gouvernement. Il a été établi pour donner au Parlement l'assurance que le SCRS respecte la loi dans l'exercice de ses fonctions. Ce faisant, le comité veille à ce que le SCRS ne brime pas les droits et libertés fondamentaux des Canadiens dans le cadre de son mandat qui consiste à protéger le pays contre les menaces à la sécurité nationale.

Le CSARS est le seul organisme externe indépendant qui a le mandat légal et l'expertise nécessaire pour examiner les activités du SCRS. Par « indépendant » et « externe », je veux dire que le CSARS n'a pas de lien de dépendance à l'égard du gouvernement et qu'il n'a pas à faire rapport à aucun ministre; il fait rapport directement au Parlement.

Le CSARS se compose actuellement de l'honorable madame Paule Gauthier, l'honorable Gary Filmon, l'honorable Roy Romanow, l'honorable Baljit Chadha et l'honorable Raymond Speaker.

Le CSARS a deux grandes responsabilités : examiner les activités du SCRS et enquêter sur les plaintes. Nous examinons les activités du SCRS en fonction des quatre éléments qui forment son cadre législatif et stratégique, à savoir la Loi sur le SCRS, les instructions ministérielles, les exigences nationales en matière de renseignement de sécurité et les politiques opérationnelles du SCRS.

Le CSARS a le pouvoir absolu d'examiner toutes les activités du SCRS, même si l'information en cause est de nature délicate et qu'elle est classifiée. Seuls les renseignements confidentiels du Cabinet ne peuvent lui être soumis. Je tiens à souligner que le comité examine seulement le rendement du SCRS après les faits, c'est-à-dire qu'il examine les activités passées. Nous n'avons pas pour but d'assurer une surveillance des activités courantes du SCRS.

Le CSARS enquête aussi sur les plaintes concernant les activités du SCRS, les plaintes concernant le refus ou la révocation d'habilitations de sécurité, les rapports du ministre relatifs à la Loi sur la citoyenneté et, enfin, les plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne renvoyées au CSARS pour des raisons de sécurité nationale. Le comité publie des rapports et fait des recommandations au directeur et au ministre; il transmet également ses constatations au plaignant.

Pour en apprendre davantage au sujet du CSARS, il suffit de visiter notre site Web. J'ai apporté des copies de notre dernier rapport annuel au Parlement ainsi qu'une petite publication intitulée « Réflexions » qui relate les 20 ans d'histoire du CSARS et décrit certains des défis qu'il doit maintenant relever.

Pour ce qui est du rôle du SCRS dans le processus d'inscription des entités terroristes, lorsque le CSARS a témoigné pour la première fois devant le comité sénatorial spécial chargé d'étudier le projet de loi C-36 en octobre 2001, nous ne pensions pas que notre travail ou celui du SCRS changerait considérablement sur le plan qualitatif à la suite de l'adoption imminente du projet de loi. Après tout, le SCRS ne recevait pas de nouveaux pouvoirs. De plus, son mandat en vertu de la Loi sur le SCRS et le mandat du CSARS restaient tels quels. Le CSARS supposait que la Loi antiterroriste n'aurait pas une grande incidence sur les activités du SCRS, parce qu'un seul article de la Loi sur le SCRS était modifié. Seule la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » à l'article 2 était modifiée par l'ajout des mots « religieux ou idéologique » :

c) les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

Il s'agit de l'article 89 de la Loi antiterroriste.

Le CSARS prévoyait cependant que l'adoption du projet de loi entraînerait une hausse du nombre de plaintes, car nous étions d'avis que de nombreux groupes ou individus inscrits sur la liste des entités terroristes dressée conformément au Code criminel déposeraient des plaintes au CSARS en vertu de l'article 41 de la Loi sur le SCRS.

Après trois ans, cela n'a pas été le cas. Presque la totalité des entités inscrites sont basées à l'étranger et sont donc peu susceptibles de porter plainte au CSARS. En fait, nous n'avons reçu aucune plainte à ce jour au sujet du processus d'inscription des entités. Cela pourrait toutefois changer si des citoyens canadiens ou des groupes comptant de nombreux Canadiens étaient inscrits à l'avenir.

Je vous ferai maintenant part de quelques préoccupations que nous avons eues à la suite de notre premier examen de la participation du SCRS dans le processus d'inscription des entités terroristes.

Le CSARS a cerné trois problèmes. Le premier concerne les pouvoirs dont dispose le SCRS pour recueillir des renseignements aux fins du processus d'inscription et la portée des activités de collecte de ce dernier. Les deux autres ont trait à la capacité du CSARS d'examiner le processus d'inscription.

Le premier problème concerne donc les pouvoirs dont dispose le SCRS en ce qui concerne le processus d'inscription établi à l'article 83.05 du Code criminel, qui a été modifié par la Loi antiterroriste. Le SCRS rédige les rapports de renseignement de sécurité qu'utilise la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour formuler ses recommandations au gouverneur en conseil quant à la pertinence d'inscrire une entité.

Le CSARS s'est posé les questions suivantes lorsqu'il a examiné le rôle du SCRS dans le processus d'inscription des entités terroristes : 1) Quels sont les pouvoirs qui autorisent le SCRS à participer au processus d'inscription; 2) En quoi consistent les menaces envers la sécurité du Canada définies à l'article 2 de la Loi sur le SCRS; 3) La définition de menaces envers la sécurité du Canada dans la Loi sur le SCRS est-elle conforme à la définition des activités terroristes dans le Code criminel?

Ce ne sont pas des questions hypothétiques. Plusieurs entités inscrites sur la liste du Code criminel, qui, comme vous le savez, compte actuellement 35 groupes, ne semblent pas correspondre à la définition de menaces envers la sécurité du Canada aux termes de la Loi sur le SCRS.

Je vous donnerai deux exemples.

Le culte japonais, Aum Shinrikyo, est une entité inscrite. Je ne peux divulguer de détails sur les enquêtes du SCRS, mais je peux vous dire que cet organisme n'a jamais commis d'acte terroriste au Canada et n'a pas de présence évidente ou de système d'appui au Canada. Le CSARS doit donc se demander si un tel organisme correspond à la définition de menaces envers la sécurité du Canada de la Loi sur le SCRS.

De même, le groupe colombien, connu sous le nom de Las Autodefensas Unidas de Colombia, ou AUC, qui figure sur cette liste commet clairement des actes de terrorisme en Colombie. Personne ne conteste cela. Maintenant, est-ce que l'AUC, qui cible principalement des paysans colombiens, représente une menace envers la sécurité du Canada?

L'article 2 de la Loi sur le SCRS est très clair, car il était important pour le Parlement de limiter juridiquement les activités de collecte de données du SCRS. La Loi sur le SCRS définit les menaces envers la sécurité du Canada comme étant des activités visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, à l'alinéa 2a); les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent, aux alinéas 2b) et 2c); les activités qui visent à saper le régime de gouvernement établi au Canada, à l'alinéa 2d). Le Canada et les intérêts canadiens sont des dénominateurs communs dans ces quatre définitions des menaces envers la sécurité du Canada.

Par contre, l'article 83.01 du Code criminel définit l'activité terroriste comme étant une action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger. La Loi sur le SCRS précise l'existence d'une relation particulière avec le Canada, mais dans le cas du Code criminel l'activité terroriste peut concerner le Canada ou non, car la définition comprend les activités qui se tiennent à l'étranger et qui ne visent pas nécessairement le Canada.

Bref, il n'est pas nécessaire que l'activité terroriste ait un lien clair avec le Canada ou les intérêts canadiens pour correspondre à la définition d'activité terroriste en vertu du Code criminel.

Comme l'a signalé le ministère de la Justice, la Loi antiterroriste avait pour but d'harmoniser la législation canadienne avec celle des partenaires internationaux du Canada. Cependant, l'examen du CSARS a révélé que le volet international du processus d'inscription n'est pas prévu dans la Loi sur le SCRS, qui vise quant à elle à limiter la collecte de renseignements aux préoccupations nationales.

Autrement dit, du point de vue du CSARS, le processus d'inscription peut obliger le SCRS à recueillir, conserver et analyser des renseignements qui ne correspondent pas à la définition de menaces envers la sécurité du Canada de la Loi sur le SCRS.

Lorsque nous discutions de cela au bureau, j'ai trouvé qu'il était utile de visualiser deux cercles concentriques pour mieux voir la situation. Le cercle intérieur, qui est plus petit, représente les activités du SCRS en vertu de l'article 12, qui se limitent aux menaces envers la sécurité du Canada; le cercle extérieur, qui est un peu plus grand, représente les activités du SCRS en matière de collecte, d'analyse, de conservation et de conseil concernant les informations et les renseignements de sécurité sur l'activité terroriste aux fins du processus d'inscription des entités aux termes du Code criminel.

Les renseignements contenus dans les deux cercles coïncident pour la plupart et relèvent en bonne partie du mandat du SCRS en vertu de la Loi sur le SCRS, mais pas tous. Qu'arrive-t-il lorsque les cercles ne coïncident pas parfaitement? Est-ce une incohérence entre les deux définitions? Y a-t-il lieu de s'inquiéter? Le CSARS a conclu après son examen que les cercles ne correspondent pas totalement dans un secteur.

Le CSARS reconnaît que le SCRS est habilité en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur le SCRS à recueillir des informations et des renseignements de sécurité pour le processus d'inscription des entités conformément aux instructions ministérielles. Je signalerai toutefois que durant la première année du processus d'inscription des entités, le SCRS a rempli ses nouvelles fonctions sans instructions officielles du ministre. Évidemment, ces instructions ne peuvent élargir son mandat, mais fournissent seulement au SCRS l'autorité d'agir dans les limites prévues par la Loi sur le SCRS.

Avant de continuer, je veux être claire. Le CSARS ne blâme pas le SCRS pour cette situation, car ce dernier n'y peut rien. Ce sont des questions de compétences législatives qui sont indépendantes de la volonté du SCRS.

Dans l'ensemble, en examinant le rôle du SCRS dans le processus d'inscription, nous avons constaté que le SCRS respectait les instructions ministérielles reçues et les politiques opérationnelles pertinentes pour recueillir les renseignements. Néanmoins, nous avons conclu que le SCRS doit recueillir pour le processus d'inscription de l'information qu'il n'est pas habilité à traiter en vertu de la Loi sur le SCRS pour ce qui est des menaces envers la sécurité du Canada.

En tant qu'organisme d'examen, le comité croit que tout élargissement des activités de collecte du SCRS mérite une attention particulière. Après tout, le Parlement voulait que ces activités soient clairement définies, compte tenu des pouvoirs extraordinaires du SCRS. Le comité souhaite simplement noter que ce petit élargissement des activités de collecte du SCRS et l'absence de pouvoir précis à cet égard est une source de préoccupation. Le comité voudrait que cette question soit examinée dans le cadre de votre examen.

Ceci m'amène au deuxième élément concernant le processus d'inscription, à savoir la capacité du CSARS d'examiner le rôle du SCRS. Le comité sénatorial spécial qui a examiné le projet de loi C-36 s'est dit préoccupé du fait que le processus d'inscription des entités terroristes ne comportait aucune disposition prévoyant la tenue d'un examen indépendant. Les sénateurs étaient surtout préoccupés de la participation du SCRS dans l'examen de la liste après deux ans, puisque cet examen serait réalisé par les mêmes personnes qui auraient dressé la liste.

Par conséquent, les sénateurs ont recommandé que soit créé un poste de mandataire indépendant du Parlement dont le titulaire examinerait le processus d'inscription ou, comme autre possibilité, que le SCRS soit chargé d'effectuer des examens réguliers. À l'époque, la ministre McLellan, qui était alors ministre de la Justice et procureure générale du Canada, a fait valoir que les mécanismes d'examen actuels suffisaient. Elle a déclaré devant le comité sénatorial spécial que :

[...] nous avons des mécanismes de surveillance en place qui ont fait leurs preuves, que ce soit le CSARS ou les tribunaux. Par conséquent, je ne suis pas favorable à la création d'un nouveau mécanisme de surveillance distinct et séparé de ceux qui existent [...]

Nous savons que les sénateurs ont à nouveau soulevé ce point auprès de la ministre McLellan lorsqu'elle a témoigné devant ce comité spécial. Nous avons aussi constaté que la ministre McLellan a répété que le CSARS était un des meilleurs mécanismes de protection et de reddition de comptes qui soit en ce qui concerne les dispositions de la Loi antiterroriste. Comme la ministre McLellan a déclaré que la capacité du CSARS d'examiner la liste constituait une mesure de protection importante, il est important de signaler que même si le CSARS peut examiner de façon assez exhaustive le rôle du SCRS dans le processus d'inscription, il ne peut faire un examen complet.

Bref, le CSARS ne peut voir les rapports de renseignement de sécurité, dont j'ai parlé plus tôt, sur lesquels s'appuient les décisions du gouverneur en conseil, et ce, en raison du caractère confidentiel de ces documents du Cabinet.

Nous reconnaissons que le paragraphe 39(3) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité empêche le CSARS d'avoir accès aux documents confidentiels du Cabinet, et nous reconnaissons aussi que le processus d'inscription contient d'autres mécanismes de contrôle. Néanmoins, le comité croit qu'il est important que vous sachiez que cette contrainte l'empêche d'effectuer un examen complet du rôle du SCRS dans le processus d'inscription.

Je préciserai que dans le passé, les quelques fois que le CSARS s'est buté à des questions qui avaient trait aux documents confidentiels du Cabinet, nous avons réussi à nous entendre avec les procureurs généraux en poste pour satisfaire nos préoccupations. Je tiens à vous dire que la présidente a soulevé ce point à l'attention de la ministre McLellan, et nous attendons une réponse de sa part.

Nous nous préoccupons aussi, mais dans une moindre mesure, des cas où un autre organisme, comme la GRC, pourrait préparer un rapport de renseignement de sécurité. À l'alinéa 83.05(6)a) du Code criminel qui porte sur l'examen judiciaire du processus d'inscription, on peut lire « les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité qui ont été pris en considération pour l'inscription du demandeur sur la liste ». Le code précise pas cependant quels ministères ou organismes canadiens peuvent rédiger ces rapports. La présence du mot « criminalité » laisse entendre que la GRC pourrait jouer un rôle dans ce processus, et cela nous a été confirmé par le SCRS.

Si la GRC préparait un rapport de renseignement de sécurité aux fins du processus d'inscription du gouverneur en conseil, le CSARS ne pourrait l'examiner, car son mandat se limite au SCRS.

J'aborderai maintenant mon dernier point, soit le CSARS et la Loi sur la protection de l'information.

La Loi sur les secrets officiels a été abrogée par la Loi antiterroriste et remplacée par la Loi sur la protection de l'information. Cette loi a créé une nouvelle responsabilité pour le CSARS. L'article 15 prévoit en effet la possibilité de recourir à une défense d'intérêt public dans le cas où une personne astreinte au secret à perpétuité divulgue des renseignements opérationnels spéciaux définis par la loi.

Une telle défense ne serait autorisée que si la personne avait d'abord informé l'administrateur général ou le sous- procureur général du Canada de la question, et en l'absence d'une réponse de ces personnes, le CSARS.

Nous avons plusieurs questions au sujet de ces dispositions, notamment quelle était l'intention du Parlement lorsqu'il a créé ce rôle pour le CSARS? Cette disposition permet au CSARS de recevoir des renseignements opérationnels spéciaux, mais n'indique pas au CSARS quoi faire quand il reçoit de tels renseignements. Si le Parlement veut que le comité mène une enquête au sujet des renseignements opérationnels spéciaux, quels sont alors les pouvoirs du comité aux termes de la loi? Le comité doit-il formuler des conclusions et des recommandations?

Il faut aussi préciser si le comité doit présenter un rapport sur une telle enquête et à qui. Ces questions demeurent floues pour le CSARS, et aucun lien clair n'a été établi entre ces questions et son mandat en vertu de la Loi sur le SCRS.

Étant donné les répercussions potentiellement graves associées à la divulgation de tels renseignements par les fonctionnaires, le comité souhaiterait recevoir de plus amples précisions à cet égard.

Pour terminer, j'aimerais remercier les membres du Sénat d'avoir donné au CSARS l'occasion de s'exprimer sur certains problèmes concernant la Loi antiterroriste. J'espère que mes observations vous aideront dans votre examen et je me ferai un plaisir de répondre aux questions que vous pourriez avoir.


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